L’achat d’une œuvre d’art représente un défi financier majeur pour les musées. Devraient-ils s’unir pour enrichir leur patrimoine ?
Depuis la crise financière de la fin des années 2000, les musées peinent à financer l’achat de nouvelles œuvres. Jessica Minier, doctorante en muséologie et patrimoines à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), constate que seuls les propriétaires de collections privées ont les moyens d’acheter les œuvres d’artistes de prestige au Canada. « Je ne suis pas certaine qu’il existe encore des musées qui ont les moyens d’acquérir une œuvre qui coûte des millions de dollars », remarque-t-elle.
De plus en plus d’institutions se tournent alors vers la coacquisition pour élargir leur patrimoine à moindre coût, tout comme vers d’autres partenaires tels que des municipalités, des fondations et des collections privées.
La coacquisition a également l’avantage de garder une œuvre dans le domaine public ou de l’y transférer. « Nous sommes dans une période où les institutions misent sur l’accessibilité. La coacquisition augmente la portée d’une œuvre », affirme la doctorante de l’UQO. Un exemple récent est la collaboration fructueuse entre la National Portrait Gallery, au Royaume-Uni, et le musée Getty, aux États-Unis. Le tableau Portrait of Mai (Omai), qui n’a jamais été présenté dans un musée car il appartenait à une collection privée, voyagera ainsi entre les deux pays.

Le tableau Portrait of Mai (Omai) appartient maintenant à la National Portrait Gallery et au musée Getty.
Le partage des œuvres peut aussi se faire au prorata des sommes investies, comme le montre l’exemple de deux musées du Royaume-Uni qui ont acquis des tableaux du grand portraitiste Titien en 2009 et 2012. « La National Gallery de Londres, qui dispose de plus de ressources financières, a payé 60 % du coût des tableaux. La National Gallery d’Écosse a quant à elle fourni les 40 % restants », détaille Jessica Minier. Selon l’entente, la paire de tableaux passe 60 % de son temps à Londres et le reste à Édimbourg.
Les cas de coacquisitions restent peu fréquents au Canada, mais plusieurs transactions seraient en cours. Le pays pourrait suivre la tendance mondiale. « L’année 2010 a été un moment charnière [dans le monde]. J’estime qu’il y a eu plus du double de cas de coacquisitions de 2010 à aujourd’hui que de 1973 jusqu’à 2010. » L’avenir s’avère prometteur pour le patrimoine muséal.
Sur la photo en ouverture: L’arbre de Jessé est sculpté sur le peigne.
Photo: RMN-Grand palais/Art Resource, New York ; Image : Wikimedia Commons
Un peigne, deux pays
En mars 1973, le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York et le Musée du Louvre, à Paris, achètent un précieux peigne en ivoire datant du 13e siècle, d’une valeur de 56 000 $. D’après les recherches de Jessica Minier, il s’agit du premier cas connu de coacquisition. « Le peigne faisait partie des collections nationales de France et ne pouvait donc pas quitter le pays. La coacquisition a été utilisée comme stratégie pour le transférer vers le Met, aux États-Unis », explique la docto- rante. Pendant de nombreuses années, un système de rotation a été mis en place pour permettre au peigne de voyager entre les deux musées. Aujourd’hui, il est conservé en France.