Jusqu’ici, la recherche sur l’autisme s’est surtout concentrée sur l’intervention auprès des enfants. On accorde désormais de plus en plus de place au vécu et au bien-être des adultes, qui peuvent contribuer à l’avancement de la science.
Dépression et troubles anxieux, comportements suicidaires, utilisation problématique d’Internet, abus de substances, victimisation, problèmes d’identité : les autistes sont plus susceptibles de vivre des situations complexes que la population générale. En plus de poursuivre la documentation de ces phénomènes, la recherche tente maintenant de développer des interventions sur mesure pour les adultes autistes.

La professeure Marie-Hélène Poulin. Photo: Louis Jalbert
Le Québec occupe une place de choix dans la recherche sur l’autisme. La professeure en psychoéducation Marie-Hélène Poulin vient d’ailleurs de recevoir la plus importante subvention de recherche en sciences humaines jamais octroyée à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue pour établir un continuum de services pour la population autiste lors du passage à l’âge adulte.
Il faut dire que la professeure Poulin connaît très bien le sujet : non seulement elle fait de la recherche, mais elle est aussi psychoéducatrice et mère d’un enfant neurodivergent. Sa recherche couvre toutes les étapes de développement des jeunes : elle vise d’abord à outiller les parents d’enfants autistes et les enseignants, à faire de la vulgarisation scientifique ainsi que de la sensibilisation. Ses travaux se penchent aussi sur les moments marquants de la vie, dont les premières expériences des jeunes.
Aborder ces sujets novateurs a permis à la chercheuse de constater la collaboration difficile entre les services de santé requis par les individus ayant un trouble du spectre de l’autisme ainsi que l’absence de directives d’interventions adaptées. « Les services [au Québec] sont beaucoup organisés en silo, en programmes ; l’interprogramme n’est pas toujours facile, explique-t-elle. Mais traiter une dépendance sans considérer l’autisme de la personne, ce n’est peut-être pas la bonne avenue. »
Les professionnels du programme Déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme du ministère de la Santé et des Services sociaux ne sont pas outillés pour intervenir spécifiquement en dépendance ou en santé mentale. Ils hésitent à diriger les patients autistes vers d’autres services, prétextant qu’ils s’adaptent difficilement à la nouveauté, donc aux changements d’intervenants.
Marie-Hélène Poulin vient de recevoir 2,5 millions de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour le projet Continuum Autisme, auxquels s’ajoute une contribution de 1,6 million de partenaires du réseau de la santé et d’organisations de défense des droits des autistes. Le projet vise à mettre les expertises en commun.
Au chapitre des dépendances, par exemple, tout est encore à faire en recherche, selon Marie-Hélène Poulin. « Internet, les jeux vidéo, les jeux de loterie : ce sont des choses qu’on n’a pas beaucoup étudiées. Et pourtant, [la population autiste] vit énormément d’anxiété, donc ça pourrait être quelque chose de problématique », soutient-elle. Ainsi, seules une vingtaine d’études sur les dépendances avec abus de substances chez les personnes autistes sont disponibles, et la très grande variabilité de leurs résultats appelle à poursuivre les recherches.
La professeure Poulin a cofondé le Groupe de recherche pour les adolescent.e.s et adultes autistes avec sa collègue Stéphanie Fecteau afin de démocratiser l’accès à la connaissance pendant la pandémie. Selon cette dernière, professeure en psychoéducation et en psychologie à l’Université du Québec en Outaouais, les indicateurs en santé mentale invitent clairement à adapter les services offerts aux autistes.
« Une étude suggère que 77 % de la population autiste adulte a vécu à un moment ou à un autre de sa vie un épisode de dépression ou de troubles anxieux. Dans la population générale, c’est 7 %. L’écart nous invite à considérer la communauté autistique comme marginalisée et minoritaire ; s’il y avait plus d’ouverture de la part de notre société, les taux seraient plus comparables », illustre Stéphanie Fecteau, soulignant du même souffle que ces données n’incluent pas l’impact de la pandémie.
« Traiter une dépendance sans considérer l'autisme de la personne, ce n'est peut-être pas la bonne avenue. »
Marie-Hélène Poulin, professeure en psychoéducation de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
Au cœur de la recherche
La participation et l’acceptation sociales sont pourtant des conditions indispensables au bien-être des adultes autistes, selon la professeure Fecteau. D’ailleurs, le concept de stress minoritaire, c’est-à-dire le niveau de stress plus élevé subi par les populations stigmatisées comme la communauté LGBTQ+ ou les personnes racisées, inspire les chercheurs. « Le camouflage – cacher ses traits et adopter des comportements observés chez quelqu’un d’autre – est une stratégie souvent rapportée chez les adultes autistes, particulièrement les femmes. C’est épuisant de toujours avoir à dissimuler qui on est pour être capable d’être inclus, accepté », illustre la chercheuse.
C’est pourquoi les deux chercheuses accordent une importance particulière à la participation pleine et entière des autistes à la recherche. Elles plaident d’ailleurs auprès des universités et des fonds de recherche pour que ces précieux partenaires soient rémunérés à leur juste valeur, en leur faisant signer « une entente de travail, pas un formulaire de consentement à la participation », illustre Stéphanie Fecteau.
Outre les professionnels de la santé, la professeure Poulin accorde depuis plus d’une décennie une place de choix aux autistes et à leur vécu expérientiel dans ses travaux. Elle veille de plus à ce qu’ils soient mis sur le même pied d’égalité que les chercheurs et les intervenants au sein des comités de recherche. L’un des aspects que le Continuum Autisme souhaite développer concerne notamment le recours aux pairs aidants, qui commence à être utilisé en Europe et au Canada, auprès des autistes.
« La pair-aidance a fait ses preuves en santé mentale, rappelle-t-elle. On veut donc former des autistes qui soutiendront d’autres autistes. Et on est en communication avec le service de formation continue de mon université pour développer une formation adaptée qui va pouvoir être offerte dans toutes les régions et qu’on va ensuite intégrer à la trajectoire de services pour les adultes autistes. »
Alors que les adultes sont aujourd’hui sur le radar des universitaires, les deux spécialistes s’entendent pour dire que le vieillissement de la population forcera le microcosme de la recherche en autisme à s’intéresser aux clientèles plus âgées.
« Ça va être aussi important d’accompagner les autistes quand ils vont faire la transition vers les services pour personnes âgées », anticipe Marie-Hélène Poulin. De quoi alimenter la recherche sur l’autisme encore longtemps…

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Les animaux comme moyen de diminuer le stress ?
Pendant ses études, Stéphanie Fecteau a travaillé à l’élaboration d’un programme d’attribution de chiens d’assistance à de jeunes adultes autistes. Le stress vécu par ces jeunes adultes lors de la formation de sept jours pour apprendre à prendre soin de leur animal l’a amenée à se pencher plus tard sur l’adaptation pour les autistes du programme Dé-stresse et progresse, conçu par la chercheuse Sonia Lupien du Centre d’études sur le stress humain. Elle croit que poursuivre la démonstration scientifique des bienfaits de cette stratégie de gestion du stress pourrait contribuer à la participation sociale des autistes.
La chercheuse attend d’ailleurs des nouvelles d’une demande de financement présentée avec une collègue de la Faculté de médecine vétérinaire au Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) pour « étudier la relation de l’enfant avec le cheval en équitation thérapeutique ». « Je veux rendre [le recours aux animaux d’assistance] non anecdotique, mais soutenu scientifiquement, dit-elle. Pour que les assurances le reconnaissent, que les milieux publics le reconnaissent ; pour que si, par exemple, tu emmènes ton chien au restaurant, ce ne soit pas vu comme un caprice. Si tu ne l’emmenais pas, peut-être que tu n’irais tout simplement pas au restaurant. » De quoi alimenter la réflexion en ce mois d’avril, mois de l’autisme.