Les bébés conçus grâce à la procréation médicalement assistée sont de plus en plus nombreux. Comment l’histoire de leur conception influence-t-elle leur cheminement identitaire et leur santé mentale une fois devenus adultes ?
Depuis la naissance du premier bébé-éprouvette, en 1978, des millions d’enfants ont été conçus grâce aux avancées médicales en matière de fertilité dans le monde. Aussi étonnant que cela puisse paraître, peu d’études ont suivi le parcours de ces enfants jusqu’à l’âge adulte.
Yann Zoldan, psychologue et professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), et sa collègue Delphine Rambeaud-Collin, psychologue au Centre hospitalier universitaire de Toulouse, en France, ont apporté une contribution intéressante à cette question. Dans le cadre d’une étude parue en 2021 dans la revue Jeunes et Société, ils se sont penchés sur le bien-être psychologique de 14 femmes âgées de 15 à 25 ans qu’ils ont suivies en psychothérapie et qui avaient en commun d’avoir été conçues par fécondation in vitro en raison de troubles de fertilité chez leur mère.
Les deux psychologues le mentionnent d’emblée en entrevue : le fait d’être nées de la procréation médicalement assistée n’était pas la raison principale ayant mené ces femmes à la consultation thérapeutique. D’ailleurs, Delphine Rambeaud-Collin confirme que ce ne sont pas des histoires traumatiques qui leur ont été racontées. Une étude publiée en mars 2022 dans Human Fertility a même conclu « que le fait d’être conçu grâce à une technique de procréation assistée peut conférer des avantages en matière de qualité de vie à l’âge adulte, indépendamment des cofacteurs psychosociaux ».
Enfants de la science
En thérapie, les deux experts ont d’abord remarqué que l’histoire de la conception des jeunes femmes avait eu un effet sur leur construction identitaire : elles se définissaient comme des enfants de la science ou des « bébés-éprouvettes », au lieu de se définir comme des enfants désirées par leurs parents.
Le contexte de leur conception teintait également leur histoire personnelle. Par exemple, les jeunes femmes ont raconté qu’étant des enfants « miracles », elles avaient intérêt « à être sages, au vu de ce que leur mère [avait] dû endurer » pour les voir naître.
Certaines craignaient par ailleurs d’avoir elles-mêmes des problèmes de fertilité ou de vivre, le moment venu, une expérience de la maternité différente des autres femmes à cause de leur vécu.
Raconte-moi ton histoire
La psychothérapie narrative, où le thérapeute accompagne son patient dans la mise en récit de son histoire, s’est révélée un outil précieux pour réduire les inquiétudes de ces femmes. Grâce à cette approche, les patientes ont été amenées à passer d’un second rôle dans l’histoire de leur mère à celui d’héroïne de leur vie. « L’idée est de les aider à s’émanciper et à redevenir les protagonistes de leur propre histoire, indique Yann Zoldan. On les aide à raconter leur récit sous un angle différent et valorisant de leur point de vue ».
Le professeur de l’UQAC mentionne que ce type de psychothérapie est aussi utile chez les personnes souffrant de traumatismes, qui ont vécu la guerre, par exemple, ou un abandon familial. « On guide les patients [pour les aider] à raconter une histoire de vie qui ne les oblige pas à parler de leur traumatisme. »
Sans pour autant oublier l’histoire de leur conception, ces jeunes femmes pourront s’en affranchir et entamer le prochain chapitre de leur vie d’adulte avec assurance.
Illustration: Sophie Benmouyal