Le spécialiste de l’éducation en situation d’urgence Olivier Arvisais mène des recherches sur la capacité à apprendre dans un contexte de conflit. Les constats préliminaires défient les idées reçues.
Plus de 400 millions d’enfants vivent actuellement dans une zone touchée par un conflit, selon l’UNICEF, qui dénonce en outre le fait que les établissements scolaires sont de plus en plus souvent pris pour cibles. Comment garantir l’apprentissage, malgré le chaos ?
C’est à cette question que s’intéresse Olivier Arvisais, professeur au Département de didactique de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal. Dans ses recherches, il se penche notamment sur les initiatives d’éducation dans les camps de réfugiés et dans les situations de violence armée ou de crise, et sur les conséquences de la guerre sur les élèves. « Nous avons une bonne idée des impacts psychologiques, physiques et sociaux qu’un conflit peut avoir sur les enfants qui évoluent dans ces contextes, mais les conséquences sur leurs apprentissages scolaires sont moins connues », affirme l’expert, qui mène notamment des recherches en Ukraine.
Olivier Arvisais se penche particulièrement sur les fonctions cognitives des enfants. « On se concentre vraiment sur l’élève, sur l’apprenant en tant que tel, puis sur ses caractéristiques biologiques, psychologiques et sociales. Plusieurs chercheurs se sont déjà penchés sur les enseignants et enseignantes, mais peu sur les enfants », ajoute-t-il.
Le professeur explique qu’une relation négative est établie depuis longtemps entre les stresseurs que vivent les enfants en temps de conflit et leur capacité à exécuter certaines fonctions cognitives dans un contexte scolaire. Cependant, d’après ses recherches, une nouvelle hypothèse semble émerger. « Certaines données préliminaires laissent à penser que, parfois, les enfants qui vivent le stress de la guerre pourraient être dans un état qui favoriserait l’inhibition cognitive », avance Olivier Arvisais, qui est aussi coprésident scientifique de la Chaire UNESCO de développement curriculaire et directeur scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaires.
Si la flexibilité cognitive (reconnaître ses erreurs, les corriger, comprendre les règles d’une langue par exemple) est affectée chez les élèves en zone de guerre, l’inhibition cognitive, elle, serait supérieure à celle des enfants qui apprennent dans un contexte normal. « L’inhibition cognitive est très utile pour bloquer nos préconceptions dans certaines disciplines », explique le chercheur.
Plus concrètement, cela veut dire que les enfants qui grandissent dans un contexte de conflit ne seraient pas nécessairement désavantagés, par rapport à leurs pairs ailleurs dans le monde, dans l’apprentissage de certains concepts ou pour la résolution de problèmes en physique, en sciences ou dans d’autres secteurs où beaucoup d’inhibition cognitive est requise. En revanche, quand il s’agit d’appliquer des règles, par exemple dans l’apprentissage d’une langue, ils pourraient se heurter à davantage de difficultés. « Or les capacités en lecture sont un des déterminants principaux de la réussite scolaire », note le chercheur.
Olivier Arvisais et son équipe aimeraient explorer ces aspects, en se basant sur des critères d’évaluation solides. « Ce n’est pas quelque chose que l’on peut vérifier à travers les résultats scolaires, qui constituent une donnée plus ou moins fiable en contexte de conflit », précise-t-il. Il sait qu’il devra s’armer de patience. « C’est un domaine qui avance lentement, ces recherches étant réalisées par peu de gens, dans des continuations souvent très difficiles et auprès de populations en situation de grande vulnérabilité. »
Sur la photo: Olivier Arvisais, avec trois jeunes dans le camp de réfugiés Shu’fat, situé à la périphérie de Jérusalem, dans le cadre de sa recherche sur la capacité à apprendre dans un contexte de conflit.