Le système scolaire a longtemps ignoré, voire écrasé, la culture autochtone. Il est temps de laisser la place à une école conçue par et pour les Autochtones.
Il y a déjà près d’une décennie que la Commission de vérité et réconciliation du Canada a rempli son mandat. Fondée dans le but d’informer la population canadienne sur ce qui s’est passé dans les pensionnats pour Autochtones, la Commission a recueilli pendant plusieurs années des témoignages horrifiants venus des quatre coins du pays. « Les pensionnats avaient pour but de séparer les enfants autochtones de leur famille afin de limiter et d’affaiblir les liens familiaux et culturels », est-il écrit dans la préface du rapport final. Nul n’est besoin de rappeler les détails des violences qu’ont vécues les jeunes Autochtones dans ces écoles – dont la dernière a mis la clé sous la porte en 1996.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la Commission ait accordé une place importante à l’éducation dans sa liste de recommandations. Y sont notamment mentionnés les besoins en financement, mais aussi l’importance d’offrir aux jeunes « des programmes d’études adaptés à la culture ».
Afin de poursuivre le processus de réconciliation entamé par cette Commission, des équipes de recherche s’intéressent à l’éducation autochtone. Leur but : concevoir l’école idéale.
Constater les lacunes
D’emblée, une nuance s’impose : devant la diversité des cultures des onze nations autochtones du Québec, il serait périlleux de parler d’une seule école idéale – dans les faits, chaque communauté doit imprégner ses lieux d’éducation de ses valeurs et de ses coutumes.
Mais avant d’y parvenir, il faudra remettre en question les méthodes actuelles d’enseignement, note Nancy Wiscutie-Crépeau, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). « Le système scolaire actuel présente des lacunes importantes, car il n’a pas été créé par et pour les Autochtones », souligne-t-elle d’entrée de jeu. Elle cite en exemple la façon dont l’école québécoise divise les savoirs en catégories : on enseigne le français et ensuite les mathématiques. Pour les Autochtones, les connaissances sont plutôt liées entre elles.
Cette discordance entre les enseignements offerts et les cultures des élèves a des effets importants. « Pour les jeunes, ça crée des enjeux identitaires, car ils ne se reconnaissent pas dans les enseignements et les façons de transmettre les savoirs », relève la chercheuse.
Elle aussi professeure à l’INRS, Marie-Eve Drouin-Gagné constate que cette situation mène les jeunes à vivre des difficultés dans leur parcours scolaire. « Nous avons remarqué que les élèves innus que nous interrogions avaient beaucoup de diagnostics de problèmes d’apprentissage. Mais les enfants innus ont-ils vraiment tant de troubles, ou bien le problème est-il qu’ils ne peuvent pas répondre aux attentes du système ? »
Langue et territoire
Comment rétablir l’équilibre ? En « autochtonisant » l’éducation, résume Janis Ottawa, étudiante à la maîtrise à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). « En fait, il faudrait l’“atikamekiser, l’anichinabegiser” ! »
Selon elle, la première étape passe par le lieu d’enseignement. Janis Ottawa sait de quoi elle parle : elle enseigne l’atikamekw nehirowisiw à l’école primaire Simon Pineshish Ottawa, à Manawan. « Quand on emmène les jeunes sur le territoire, les expériences sont plus riches, ils ont plus de facilité à s’exprimer. »
En effet, le territoire occupe une position centrale dans l’éducation autochtone. « Je parle à des gens qui me disent : “c’est dans le bois qu’on parle notre langue”, relève Marie-Eve Drouin-Gagné. Le territoire est une source de savoirs. Les lieux ont des noms, mais, derrière ces noms, on trouve aussi des récits, des histoires. »
Ainsi, une adaptation du curriculum pour qu’il inclue des concepts appropriés culturellement, notamment la langue, est essentielle. Il demeure tout de même important de préparer les jeunes à la société dominante, explique Nancy Wiscutie-Crépeau. « Dans un monde idéal, les enfants autochtones apprendraient les deux cultures. L’école aurait la mission de construire l’identité culturelle des jeunes à partir de leur langue et en relation avec le territoire et les aînés. Mais les élèves devraient aussi découvrir comment fonctionner dans le système dans lequel ils se trouvent par la force des choses. »
Changer de paradigme
Pour parvenir à cette école idéale, outre le développement d’un cursus scolaire qui fait la part belle aux cultures autochtones, il faudra un meilleur financement des établissements scolaires et une plus grande ouverture d’esprit concernant les méthodes éducatives. « Dans l’éducation autochtone, l’enfant apprend par observation, rappelle Benoit Éthier, professeur en études autochtones à l’UQAT. Il observe ses aînés, ses parents. Il est ensuite encouragé à expérimenter, à utiliser ses cinq sens. Dans le système québécois, l’enseignant impose la matière à apprendre. »
De fait, il faudra mieux former le personnel enseignant allochtone, qui représente la majorité des titulaires de classes dans les écoles situées dans les communautés autochtones, selon Nancy Wiscutie-Crépeau. Elle cite en exemple la proposition du Conseil en éducation des Premières Nations qui, en 2020, invitait le ministère de l’Éducation à ajouter au référentiel des compétences qui guident la formation du personnel enseignant celle de « valoriser et de promouvoir les savoirs, la vision du monde, la culture et l’histoire des Autochtones ». « Les enseignants formés actuellement n’ont pas les compétences nécessaires pour mettre en œuvre les principes de vérité et de réconciliation, indique la chercheuse. Ils ont aussi un travail à faire sur eux-mêmes, doivent être conscients de leur position par rapport au colonialisme. »
Plutôt que de dicter aux nations autochtones un modèle d’éducation, peut-être est-il temps de les laisser modeler celui qui leur convient le mieux.