Depuis la fin des travaux de la célèbre commission Parent sur l’éducation en 1966, cinq programmes d’histoire se sont succédé dans les écoles secondaires du Québec. Chacun témoigne de notre vision complexe du passé, mais aussi des préoccupations qui agitaient la société au moment de leur conception. Rencontre avec Olivier Lemieux, professeur en administration et politiques de l’éducation au campus de Lévis de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et auteur de Penser l’histoire et son enseignement au Québec, paru en 2023.

Olivier Lemieux, professeur en administration et politiques de l’éducation au campus de Lévis de l’Université du Québec à Rimouski
Québec Science L’histoire est-elle une matière délicate à enseigner ?
Olivier Lemieux Avant la Révolution tranquille, elle était dictée par les élites religieuses. À partir des années 1960, on a vu l’évolution de l’historiographie, l’arrivée de la didactique, et la présence d’un nombre considérable d’acteurs et de groupes désireux d’avoir voix au chapitre. L’histoire, c’est sans aucun doute la discipline scolaire la plus souvent au cœur des débats publics.
QS Lors de votre propre formation universitaire, vos professeurs d’histoire affirmaient que les programmes changeaient au rythme de la rotation des partis politiques au pouvoir. Vos recherches ont-elles confirmé cette vision ?
OL C’est plus ou moins vrai. Les programmes prennent tellement de temps à se mettre en place que le gouvernement qui lance une réforme n’est plus au pouvoir lorsque vient le moment de l’implanter.
QS Mais la politisation de l’enseignement de l’histoire n’est-elle pas inévitable ?
OL Je suis politologue de formation, alors j’ai tendance à voir de la politique partout ! Je ne suis pas contre sa présence dans l’élaboration des programmes, surtout quand elle s’exprime dans un cadre démocratique. Je m’inquiète davantage de la disparition des commissions scolaires ou du Conseil supérieur de l’éducation, car, dans ces lieux, les acteurs du milieu réfléchissaient collectivement et débattaient de propositions.
QS Quand on regarde d’autres sociétés se déchirer sur leur passé, un quelconque consensus sur les programmes d’histoire est-il possible à atteindre ?
OL Une tension est nettement préférable à l’amnésie : certaines sociétés préfèrent taire des aspects moins glorieux de leur histoire, mais à quel prix ? Peu à peu, les concepteurs de programmes ont délaissé les personnages et les grands événements comme moteurs de changement au profit des groupes qui forment la société. Par exemple, au Canada anglais, on trouve des programmes destinés à chaque minorité, et on s’interroge beaucoup sur l’intégration de l’histoire des peuples autochtones. Au Québec, nous sommes à la fois une majorité et une minorité : nous voulons être généreux envers les autres groupes tout en revendiquant le droit d’exister. Cette posture est complexe.
QS Connaître l’histoire, est-ce une responsabilité scolaire ou citoyenne ?
OL Je souhaiterais que tous les citoyens du Québec s’intéressent davantage à leur histoire, à leur culture et à celles des autres. Mais j’ai l’impression qu’on balance dans la cour des écoles tous les problèmes de la société dans le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise. Sans examens ministériels et avec seulement 3 % du temps consacré à cette matière dans l’horaire des élèves, comment est-il possible d’absorber tout cela de manière rigoureuse ? C’est difficile pour moi d’être optimiste.