D’un côté : la forêt boréale québécoise, un immense réservoir de carbone. De l’autre : des industriels qui cherchent à compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Comment arrimer les deux ?
La spécialité de Xavier Cavard, c’est la biologie. Néanmoins, les résultats de ses recherches pourraient avoir d’importantes répercussions sur l’économie québécoise.
C’est que le professeur de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) est titulaire de la Chaire de recherche sur la gestion du carbone forestier, établie à Sept-Îles. Lancée en 2019, cette chaire est appuyée non seulement par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, mais aussi par plusieurs entreprises, dont Aluminerie Alouette, le producteur d’acier ArcelorMittal et Produits forestiers Résolu.
Celles-ci suivent les travaux de Xavier Cavard et de son équipe avec attention, puisqu’ils pourraient leur être fort utiles dans un avenir rapproché. Le scientifique cherche à comprendre la façon dont la forêt boréale québécoise et le sol sur lequel elle est implantée captent le carbone, avec un objectif double : trouver des manières d’exploiter et d’aménager la forêt qui maximisent la captation du carbone, pour ensuite permettre à des industriels comme Aluminerie Alouette et ArcelorMittal de compenser leurs émissions de GES grâce au pouvoir d’absorption de la forêt québécoise.
« Le but, c’est de réussir à accumuler des connaissances pour permettre une meilleure gestion du carbone forestier », résume Xavier Cavard. De précieuses informations qu’il a hâte de fournir à ses partenaires industriels pour leur permettre de tendre vers la carboneutralité.
Vaste réservoir
La forêt boréale est un objet d’étude particulièrement intéressant en raison de son étendue — elle couvre près du tiers de la superficie du Québec —, mais surtout de sa capacité d’absorption du carbone. « À l’échelle mondiale, la forêt boréale n’est pas la plus productive qui soit, ce qui veut dire que ce n’est pas celle qui va capter le carbone le plus rapidement, explique le professeur Cavard. Par contre, pour ce qui est des stocks de carbone dans les sols, c’est la championne. »
Les travaux de recherche de Xavier Cavard et des étudiants qu’il supervise se divisent essentiellement en deux axes. Le premier concerne l’adaptation de la forêt boréale aux changements climatiques, afin de savoir comment des épisodes météorologiques extrêmes, comme des périodes de sécheresse, affectent la croissance des arbres ou la décomposition du sol et, par conséquent, la captation du carbone.
Le second axe porte sur l’effet de différents traitements sylvicoles : les chercheurs s’attardent à certaines manières d’exploiter ou d’aménager la forêt pour voir comment elles influencent l’absorption et la rétention du carbone.
L’équipe s’intéresse par exemple au scarifiage, une méthode qui consiste à remuer le sol mécaniquement. Cette pratique peut avoir des effets positifs sur la croissance des arbres, et donc sur leur captation du carbone, mais elle accélère également la décomposition de la matière organique, ce qui libère une certaine quantité de carbone contenue dans le sol. « Ça reste à étudier pour voir si, en fin de compte, on est gagnants ou perdants avec cette technique », souligne Xavier Cavard, qui compte par ailleurs mettre à l’essai l’épandage d’apatite ou de cendres.
« Je pense qu’on peut aller jusqu’à doubler l’absorption du territoire aménagé », soutient Jean-François Boucher, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), lui aussi spécialiste de la gestion du carbone forestier.
Potentiel inutilisé
En permettant à la forêt boréale de capter plus de carbone qu’elle le fait naturellement grâce à des techniques d’exploitation et d’aménagement bien précises, l’industrie forestière pourrait émettre ce qu’on appelle des « crédits compensatoires ». Dans le marché du carbone auquel participe le Québec, ces crédits sont associés à des projets qui permettent de réduire les émissions de GES. Ils peuvent être achetés par des entreprises qui participent au système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions de GES pour compenser jusqu’à 8 % de leurs émissions polluantes.
Les entreprises forestières, comme Produits forestiers Résolu, pourraient ainsi générer des revenus grâce à la vente de ces crédits. Celles qui les achètent, comme Aluminerie Alouette ou ArcelorMittal, auraient quant à elles un outil supplémentaire à leur disposition pour respecter leur plafond annuel d’émissions et atteindre la carboneutralité.
Pour être vendus, ces crédits compensatoires doivent cependant être encadrés par un protocole élaboré par le gouvernement du Québec. Et jusqu’à maintenant, malgré de nombreuses démarches entreprises auprès des responsables du système québécois pour les inciter à créer un protocole lié au carbone forestier, Jean-François Boucher n’a essuyé que des refus. « On a un grand potentiel et on est en train de le » snober « . C’est dommage », déplore-t-il.
Le gouvernement du Québec a déposé l’an dernier un projet de règlement pour permettre l’émission de crédits compensatoires liés à des projets de boisement ou de reboisement sur des terres privées, lequel devrait entrer en vigueur d’ici la fin de 2022. Il ne vise cependant pas les terres publiques, où la vaste majorité de l’exploitation a cours, ni l’amélioration des pratiques de gestion forestière.
Le ministère de l’Environnement indique que les projets forestiers sont complexes, notamment en raison de la « dimension temporelle » : le carbone séquestré par un arbre est libéré dans l’atmosphère lorsqu’on le coupe et qu’il se décompose. Le Ministère ajoute cependant qu’un protocole concernant l’amélioration des pratiques forestières sur le territoire québécois est envisagé, grâce à une nouvelle approche de quantification du carbone.
Jean-François Boucher, lui, garde espoir : « On se dit que, tôt ou tard, le gouvernement n’aura pas le choix d’accepter l’idée de protocoles de crédits compensatoires qui incluent le secteur forestier d’une manière plus large. » Tout cela au bénéfice, selon lui, de l’industrie forestière et des industriels, mais aussi — et surtout — de l’environnement.
Image en ouverture: Plantation de peupliers hybrides près de la ville de New Liskeard, en Ontario. Image: Lyne Blackburn