Un monde de communications et d’échanges se vit à l’abri des regards, dans les racines des arbres d’une même espèce qui forment des greffes… ou non! Comment se fait cette sélection?
En déterrant les racines de peupliers faux-trembles, on risque d’avoir plusieurs surprises. L’une peut passer au travers de celles du premier peuplier voisin, ni vue ni connue. Puis, elle poursuit son chemin pour rejoindre le réseau racinaire de son deuxième voisin et s’y greffer. Pourquoi? Annie DesRochers, professeure titulaire de la Chaire industrielle CRSNG en sylviculture et production de bois à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), cherche à élucider ce mystère.
Pour réaliser ces travaux, la chercheuse s’intéresse au métabolome des arbres : ce sont peut-être les substances qu’ils produisent, comme les hormones et les sucres, pour envoyer des signaux dans le réseau racinaire, par exemple pour aviser le «voisinage» si un arbre a besoin d’eau. «Nous pensons que ces signaux peuvent faciliter la formation de greffes», avance-t-elle.
Il y a plusieurs années, les recherches d’Annie DesRochers ont montré comment les arbres fonctionnent en réseau afin d’augmenter leur résilience – des travaux qui ont d’ailleurs valu à la chercheuse et à son équipe le Prix du public Québec Science de la découverte de l’année en 2011. «Nous avons testé le phénomène notamment avec deux arbres en pot, reliés par une racine. Nous en arrosions seulement un et pourtant, les deux ont poussé aussi bien. Dans la nature, on peut observer la même chose avec un arbre qui croît près d’une source d’eau : il enverra davantage d’eau dans le réseau racinaire lorsque des arbres plus loin du cours d’eau en manquent.»
Comment s’opère la greffe? Lorsque le vent fait bouger les arbres, les racines se frottent et leur écorce se brise. La partie vivante des racines, le cambium, entre alors en contact et fusionne.
Un phénomène universel
Les greffes intéressent Annie DesRochers depuis ses études doctorales réalisées il y a plus de 20 ans alors qu’on recensait un plus haut taux de mortalité chez le peuplier faux-tremble au Canada. Puisqu’on pensait que leurs racines étaient atteintes de maladies, la chercheuse les a déterrées et a constaté que plusieurs de ces peupliers étaient reliés les uns avec les autres.
Au départ, on pensait que les arbres devenaient indépendants les uns des autres à mesure qu’il se développaient à partir de racines-mère. En effet, cette espèce se propage par ce qu’on appelle le «drageonnement», c’est-à-dire que de nouveaux individus poussent à partir des racines d’une plante mère «[Une fois cette étape franchie] nous pensions qu’ils perdaient leur connexion entre eux avec le temps. Au contraire, ils restent connectés toute leur vie, et augmentent même ces interrelations par la formation de greffes», précise-t-elle.
Puis, l’équipe d’Annie DesRochers a trouvé des greffes chez plusieurs autres espèces comme l’épinette noire, le sapin baumier et le pin gris qui, pourtant, se reproduisent uniquement par graines. «La majorité des espèces d’arbres forment probablement des greffes racinaires, avance-t-elle comme hypothèse. Il devient donc très important de bien comprendre ce phénomène qui semble universel et ses implications. Parce que finalement, on se rend compte que les bouleversements vécus par un arbre, que ce soit en raison de perturbations naturelles ou d’interventions humaines, influence la forêt tout autour.»
Adapter l’aménagement forestier
Ces travaux fondamentaux peuvent avoir des applications concrètes, notamment en sylviculture. Annie DesRochers donne l’exemple d’un peuplement naturel aménagé où l’on coupe et replante de l’épinette noire et où l’on trouve aussi du peuplier faux-tremble.
«Si on coupe tout, les peupliers vont se régénérer rapidement puisqu’ils peuvent se reproduire par leurs racines, indique-t-elle. Ils feront ensuite de l’ombre aux épinettes qui se reproduisent par graines et qui poussent plus tranquillement. Privées de lumière, elles risquent de mourir. Mais en épargnant une partie des peupliers, moins d’hormones stimulant la régénération seraient relâchées dans le réseau racinaire, ce qui assurerait une reproduction moins agressive. On travaille sur différentes méthodes afin de trouver les plus efficaces.»
Cet article a été réalisé en partenariat avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.