Le Québec regorge de trésors archéologiques, témoins de la riche histoire du territoire. Des équipes de recherche travaillent à les mettre en valeur. En voici trois.
Des fouilles au cœur de Mashteuiatsh
Des artefacts appartenant à plusieurs périodes d’occupation qui remontent jusqu’à plus de 5000 ans, comme une hache de pierre et des pointes de projectile : voilà ce qui a été découvert sur le site du magasin général de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Mashteuiatsh.
Depuis une trentaine d’années, les archéologues de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) travaillent avec la communauté innue installée sur la rive ouest du lac Saint-Jean, près de Roberval. Plusieurs projets de recherche y sont réalisés, mais celui-ci est spécial. « Il est né de l’intérêt de la communauté, et c’est la première fois aussi qu’un projet se réalise à l’intérieur de ses limites conventionnées, donc en plein milieu du village », raconte Érik Langevin, professeur au Département des sciences humaines et sociales et responsable du Laboratoire d’archéologie de l’UQAC.
Ce site archéologique, découvert en 2017 à la suite de la démolition d’une ancienne épicerie, est situé à côté de la caisse populaire.
« Entre 2017 et 2022, il y a eu une série de fouilles, et les gens pouvaient s’arrêter en passant et poser des questions. Des groupes scolaires pouvaient aussi venir sur le site pour en apprendre plus sur l’histoire de leur communauté », explique le chercheur.
L’UQAC a également tenu une école de fouilles sur les lieux avec un groupe d’étudiants et d’étudiantes, dont la moitié étaient autochtones. Des activités fédératrices, auxquelles la communauté était invitée, ont aussi été organisées, comme une conférence d’un chimiste pour expliquer les méthodes de datation et un atelier sur l’artisanat autochtone. « Cela a permis de créer une belle cohésion dans le groupe et a montré ce que différentes cultures pouvaient s’apporter l’une à l’autre », souligne Érik Langevin.
La Société d’histoire et d’archéologie de Mashteuiatsh (SHAM), qui expose une partie des trouvailles dans le Musée ilnu de Mashteuiatsh qu’elle chapeaute, avait la volonté depuis longtemps d’agir pour que la communauté prenne le contrôle de son patrimoine. « L’objectif était de former des jeunes et des moins jeunes pour qu’ils puissent être les premiers répondants dans le domaine et, éventuellement, être désireux d’entreprendre des études universitaires pour devenir les premiers archéologues innus », explique le professeur Langevin.
On peut dire : mission accomplie ! Hélèna Delaunière, une Innue de Mashteuiatsh, est en train de terminer sa maîtrise en archéologie et, déjà embauchée par la SHAM, elle pourra prendre en main les projets archéologiques dans la communauté. Comme seulement 10 à 15 % du site de l’épicerie a été fouillé, elle aura du pain sur la planche !

Collection d’objets du site archéologique Cartier-Roberval.
Sur les traces de Jacques Cartier
Le site archéologique Cartier-Roberval, au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière du Cap Rouge, à Québec, a été mis au jour en 2005. C’est là que s’est installé Jacques Cartier en 1541, avec son équipage de possiblement plus de 300 personnes ; la haute dénivellation du lieu offre un bon point de vue. Cartier a quitté la colonie en 1542, et le lieutenant-général Jean-François de la Rocque de Roberval s’y est installé avec 200 personnes. Ils ont été rapatriés en France en 1543 à la suite du déclenchement d’une guerre avec l’Espagne, ce qui a mis fin à la première tentative de colonisation française en Amérique.
Plus de 6000 objets et fragments ont été extraits de ce site par des archéologues. Pour valoriser ce patrimoine, l’Unité mixte de recherche Capitales et patrimoines (UMRcp) a demandé à Jean-Louis Jadoulle, professeur au Département d’éducation à l’Université TÉLUQ et spécialiste en didactique de l’histoire, de créer une trousse numérique pédagogique destinée au personnel enseignant au secondaire. Lancée officiellement le 7 juillet 2020, l’UMRcp résulte d’une collaboration stratégique entre la Commission de la capitale nationale du Québec et l’Université Laval.
« La colonisation de la Nouvelle-France et les voyages de Jacques Cartier sont au programme du cours d’histoire de 3e secondaire, indique M. Jadoulle. Créer un site Web didactique accessible dans toute la province qui permet de découvrir les artefacts, en plus de proposer des activités pédagogiques, devrait inciter les enseignants à parler de la colonie Cartier-Roberval. »
La trousse, qui sera accessible prochainement sur la Plateforme numérique du site Cartier-Roberval, un autre projet de l’UMRcp en cours de réalisation, comprend aussi des récits de voyage des deux explorateurs et des documents de nature géographique et historique.
« Le défi est de rendre ces objets signifiants pour les jeunes, en mettant en relation le passé et le présent, explique Jean-Louis Jadoulle. Par exemple, la France a encore des colonies aujourd’hui. Pourquoi ? Puis, on veut actuellement coloniser la Lune et Mars. Est-ce pour des raisons semblables qu’on a colonisé la Nouvelle-France ? La trousse amène les jeunes à réfléchir à ce type de questions. »

L’équipe de l’UQAR réalise le monitorage de la pointe de la rivière Mitis.
La menace de l’érosion
Si les artefacts du site Cartier-Roberval sont bien protégés par les hauteurs, c’est loin d’être le cas de tous. Par exemple, sur la côte gaspésienne, les tempêtes et l’érosion mettent bien des objets précieux en danger. « Il y a des secteurs où le recul se mesure en mètres par année, comme le cimetière de New Richmond, où les pierres tombales tombent littéralement au pied de la falaise », explique l’archéologue Nicolas Beaudry, professeur au Département des lettres et humanités à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
Comment intervenir ? C’est sur cette grande question qu’il travaille avec Manon Savard, aussi archéologue et professeure au Département de biologie, chimie et géographie à l’UQAR.
Le duo a travaillé en 2021 à l’embouchure de la rivière Mitis, où une flèche littorale de sédiments attachée à la côte se construit et s’érode de façon dynamique avec les vagues. Situé au pied des Jardins de Métis, ce site était d’abord habité de façon temporaire par les Autochtones, probablement pour la pêche.
« Nous y avons fait du monitorage, c’est-à-dire que nous n’avons touché à rien pour ne pas accélérer l’érosion, mais nous avons documenté ce que nous voyions dans la paroi et nous ramassions seulement les objets tombés sur la plage », explique Manon Savard.
Il y a maintenant un intérêt du ministère de la Culture et des Communications pour le développement d’une politique qui permettra de déterminer dans quel cas il faudrait opter pour des fouilles, même si elles risquent d’aggraver l’érosion, et dans quel cas il faudrait privilégier la documentation ou trouver des solutions intermédiaires.
« Il pourrait être intéressant de réaliser un monitorage fréquent de ces sites pour ensuite prendre des décisions plus éclairées, mais il faudrait y aller environ une fois par mois et après chaque évènement météorologique extrême, comme une tempête, indique Manon Savard. Ce serait très exigeant pour les équipes. De plus, la législation est très lourde, parce qu’il faut s’entendre avec les propriétaires de chaque terrain et demander des permis pour faire des recherches archéologiques qui sont valides un an et qui concernent des dates précises, alors qu’on ne peut prévoir les tempêtes et les grandes marées. »
Une piste de solution serait d’assouplir la réglementation et de faire de la place à des individus passionnés d’archéologie, bénévoles, sur place. « Ils pourraient devenir comme les gardiens du patrimoine, et nous travaillerions avec eux, affirme Nicolas Beaudry. Chose certaine, en ce moment, l’érosion continue et elle s’accélère avec les changements climatiques. Il faut trouver des solutions. »
Sur la photo en ouverture: Fouilles archéologiques sur le site de l’ancien magasin général de Mashteuiatsh.
Photos: Laboratoire d’histoire et d’archéologie/Université du Québec à Chicoutimi; Ministère de la Culture et des Communications; Nicolas Beaudry/Laboratoire d’archéologie et de patrimoine de l’Université du Québec à Rimouski