Le patrimoine subit l’usure du temps et les assauts du présent, entre négligence, changements climatiques et densification urbaine. L’Institut du patrimoine esquisse des réponses sur ces questions depuis bientôt 20 ans. Rencontre avec son nouveau directeur, Yves Bergeron, professeur en muséologie et en patrimoine à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Comment définiriez-vous la mission de l’Institut ?
L’UQAM possède une longue tradition d’engagement en faveur du patrimoine, souvent aux côtés d’Héritage Montréal, car il représente une affaire de combats. Quant à l’Institut, il s’agit d’un regroupement de chercheurs dont le mandat est de stimuler la recherche, l’enseignement et la diffusion de connaissances dans tous les domaines liés au patrimoine, et de favoriser l’interdisciplinarité autour des objets du patrimoine.
Qu’entend-on par patrimoine ?
Cela s’est longtemps résumé à l’architecture, mais la perception se transforme, et on parle maintenant de patrimoine immatériel, culturel et naturel. Par exemple, devant la menace des feux de forêt et de la montée des eaux, on comprend qu’il faut protéger des sites qui pourraient un jour disparaître.
La société québécoise s’occupe-t-elle suffisamment de préservation du patrimoine ?
Le ministère de la Culture et des Communications classe les monuments historiques, mais la responsabilité d’assurer leur conservation revient aux propriétaires. Certains d’entre eux les laissent volontairement à l’abandon parce qu’ils ne veulent pas de cette responsabilité. Sans compter que l’on voit poindre une grande crise économique et environnementale : dans ce contexte, le patrimoine sera-t-il toujours une priorité ? La mobilisation du grand public sera peut-être plus difficile.
Quels arguments peut-on avancer pour le convaincre ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine, un des grands enjeux, c’est le patrimoine. Les Russes détruisent les monuments historiques et pillent les musées. En période de conflit, quand on veut transformer une société, on s’attaque d’abord au patrimoine. Cela n’a rien de futile : on touche à quelque chose de fondamental.
Le patrimoine est aussi un rappel de notre histoire. Pensons au Stade olympique de Montréal. L’édifice n’est pas si vieux, mais il fut marquant sur le plan technologique. Les bâtiments comme celui-là sont peu nombreux dans le monde, et il a complètement transformé l’image de la métropole québécoise. Tout est une question de perception et d’interprétation.
Un grand vent de contestation sociale a soufflé ces dernières années, déboulonnant quelques statues au passage. En quoi cela affecte-t-il le patrimoine ?
C’est un sujet délicat. Dans les musées, on ne collectionne pas uniquement ce qui donne une image positive de nous. Par exemple, une figure comme Dollard des Ormeaux [officier français sauveur de la Nouvelle-France pour les uns, symbole du colonialisme pour les autres] peut déranger et être expédiée dans les réserves. D’autres générations la revisiteront, l’histoire nationale n’étant pas une chose figée. Mais nous ne sommes pas en ex-URSS, où l’on faisait disparaître des gens ou des monuments des photos. On peut les mettre en retrait, mais ils font partie de notre héritage.
Photo: Yves Bergeron, professeur de muséologie à l’UQAM. Crédit: Université du Québec à Montréal