Des chercheurs tentent de mettre K.-O. les microcaillots causés par la fibrillation auriculaire, une arythmie cardiaque qui serait responsable de la dégradation prématurée de certaines parties du cerveau.
Bo-boum, bo-boum, bo-boum… Tout va bien, le cœur se contracte de façon ordonnée : il resserre d’abord les chambres dans le haut du cœur, les auricules, ce qui envoie le sang vers les chambres du bas, nommées ventricules (on entend le« bo- »). Puis la contraction cardiaque des- cend à son tour pour écraser les ventricules, ce qui propulse le sang vers tout le corps (on entend le « -boum »).
Par contre, chez les personnes souffrant de fibrillation auriculaire − soit plus de un pour cent de la population −, la contraction des auricules est désorganisée. Le sang n’est pas totalement pompé, y stagnant parfois longtemps, ce qui peut occasionner la formation de caillots. « Les caillots naissent dans le cœur, mais la conséquence se trouve ailleurs. Ils peuvent migrer dans le reste du corps, mais le plus souvent, ils se logent dans le cerveau, car c’est la première destination des artères après le cœur », explique la Dre Lena Rivard, cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal.
Quand les caillots sont gros, la personne subit un accident vasculaire cérébral (AVC), mais la Dre Rivard et ses collègues de l’Institut soupçonnent que la fibrillation auriculaire occasionnerait en douce la dégradation de certaines parties du cerveau, à cause de microcaillots.
« On sait que les personnes atteintes de fibrillation auriculaire font davantage d’AVC, mais, depuis quelques années, il y a de plus en plus de publications rapportant une plus grande proportion de déclins cognitifs chez les gens qui font de l’arythmie. C’est graduel, on ne devient pas dément du jour au lendemain ; ça commence par des troubles de la mémoire ou des troubles liés à l’exécution », poursuit la cardiologue.
C’est exactement ce qu’elle a observé dans sa pratique, entre autres chez un directeur d’entreprise quinquagénaire contraint de partir prématurément à la retraite parce que ses facultés cognitives étaient trop touchées. À la suite d’un examen d’imagerie par résonance magnétique, les médecins ont remarqué que son cerveau présentait de multiples microcaillots. On a alors prescrit à l’homme un anticoagulant, un médicament qui fluidifie le sang, et son état s’est stabilisé : il n’a pas retrouvé les facultés perdues, mais elles ont cessé de se dégrader.
Mais alors, serait-il possible pour les personnes souffrant d’arythmie de prendre des anticoagulants de manière préventive afin d’éviter ce déclin cognitif ? C’est ce que tentent de démontrer la Dre Rivard et ses collègues, les Drs Denis Roy et Paul Khairy, avec l’étude BRAIN-AF. Ils suivront pendant cinq ans en moyenne les patients de moins de 65 ans atteints de fibrillation auriculaire traités aux anticoagulants en les comparant avec un groupe recevant un placébo.
Cette étude serait la première non seulement à prouver le lien entre les microcaillots et le déclin cognitif, mais également à étudier le potentiel d’une telle utilisation des anticoagulants chez de « jeunes » patients. En effet, l’usage de ce type de médicament n’est pas recommandé pour les 65 ans et moins en raison des risques hémorragiques que comporte une exposition à la prise d’anticoagulants. « C’est un équilibre risques-avantages », résume la Dre Rivard.
L’étude s’est jusqu’ici révélée si prometteuse que Santé Canada a autorisé son élargissement avec des traitements suivis sur plusieurs années. Plus de 800 Canadiens y participent déjà, mais les chercheurs espèrent en recruter au moins 1 300 de plus maintenant qu’ils ont adapté leur protocole et qu’ils ont reçu un financement des Instituts de recherche en santé du Canada afin de poursuivre l’étude malgré la pandémie en utilisant les outils à distance. Bref, nous devrions bientôt en avoir le cœur net.
La production de ce texte a été rendue possible grâce au soutien de la Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal.
Photo en ouverture: La Dre Lena Rivard, cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal. Image: Antoine Saito