Environnement, économie, énergie : les domaines où les chercheurs et les communautés autochtones travaillent main dans la main se multiplient — au même rythme que les solutions qui en émergent.
Le caribou, ce symbole
Le caribou est au cœur de la vie et de l’identité de maintes communautés autochtones. On le chasse depuis des lunes pour sa viande, certes, mais aussi pour ses tendons, sa fourrure et ses ramures. Chez les Innus, on le vénère : plusieurs légendes font référence à Papakassi, l’esprit du caribou, le maître de tous les animaux. Cela explique pourquoi l’espèce – tout particulièrement celui des bois, réputé en déclin – est devenue un symbole de multiples revendications autochtones (territoriale, préservation de l’identité, etc.).
Or, il ne resterait que de 6 000 à 8 500 caribous forestiers au Québec, et plusieurs hardes, comme celle de Charlevoix, sont menacées de disparition imminente. «L’exploitation forestière intensive des dernières décennies a altéré les écosystèmes. Cela a créé des habitats hautement favorables à la présence de prédateurs du caribou, comme l’ours et le loup», constate Martin-Hugues St-Laurent, professeur à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
Ce chercheur est régulièrement contacté par des conseils de bande ainsi que par des gouvernements régionaux autochtones pour étudier et améliorer la conservation du caribou forestier. «Je peux par exemple mettre un dispositif d’étude sur pied, puis inviter les communautés à le suivre pendant quelques années dans le but de générer des données pertinentes sur le caribou, comme ses mouvements sur le territoire», illustre-t-il.
Par le passé, il a produit des avis scientifiques pour le compte des Innus de Pessamit relativement à l’aménagement de lignes électriques par Hydro-Québec et à ses répercussions sur le caribou. Ces jours-ci, Martin-Hugues St-Laurent discute avec les Cris d’Eeyou Istchee Baie-James pour les aider à élaborer un plan d’organisation et d’utilisation du territoire respectueux du cervidé.
Bien que ses conclusions sur les causes du déclin des hardes aient pour effet de donner des munitions aux communautés autochtones dans leurs revendications territoriales, le scientifique se fait un point d’honneur de demeurer neutre dans le débat sur la conservation du caribou forestier qui sévit actuellement sur la place publique. « Je donne les mêmes informations aux Autochtones, aux gouvernements, aux forestiers, aux groupes de pression et aux citoyens. Mon travail en est un de garde-fou. Ce sont aux politiques de trancher – en toute connaissance de cause, on l’espère », dit-il.
L’entremetteur

Hugo Asselin, professeur à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Image: Louis Jalbert
La rareté de la main-d’œuvre se ressent jusque dans les entrailles du sous-sol de l’Abitibi-Témiscamingue. Paradoxalement, les sept communautés anichinabées (communément appelées « algonquines ») disséminées sur le territoire sont aux prises avec de forts taux de chômage. Pour Hugo Asselin, professeur à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), il n’y a aucun doute : il s’agit là d’une occasion à saisir pour enrayer la pénurie de travailleurs qui sévit dans les mines, secteur névralgique de l’économie régionale.
« Nous avons donc rencontré des employeurs miniers, des travailleurs et des non-travailleurs autochtones ainsi que des responsables d’intégration de la main-d’œuvre de mines situées en Abitibi-Témiscamingue, dans le Nord-du-Québec et au Nunavut. Le but : brosser un portrait complet de la situation afin de favoriser une meilleure insertion en emploi », explique le professeur, qui est aussi directeur de l’École d’études autochtones.
À l’issue de ce remue-méninges, dont les résultats ont été publiés l’année dernière dans la revue Resources Policy, les chercheurs ont constaté une différence significative entre les mines obligées de recruter de la main-d’œuvre autochtone et celles qui ne le sont pas, en vertu de traités et d’ententes. « Les premières ont mis en place des mesures pour plaire à ces travailleurs, sous la forme de programmes de formation, de mentorat et d’adaptation des milieux de travail, comme l’aménagement de locaux réservés à la cuisine traditionnelle autochtone », explique-t-il.
Ces ouvriers le leur rendent bien : ils sont à la fois plus nombreux (23 % de l’ensemble des travailleurs contre 1 % pour les mines non contraintes) et plus heureux au boulot. « De manière générale, plus la proportion de travailleurs autochtones est élevée, meilleur est le climat de travail dans les mines. Cela suggère qu’un certain seuil d’embauche autochtone doit être atteint afin que des résultats positifs se concrétisent », écrivent les chercheurs.
Ce n’est là qu’un exemple des nombreux ponts qu’Hugo Asselin jette entre le monde des allochtones et celui des Premières Nations. À ce titre, le biologiste de formation aime d’ailleurs se qualifier d’entremetteur. Sa spécialité ? S’asseoir avec ces communautés, les écouter et s’abreuver à leurs connaissances et savoirs issus de traditions millénaires. « Ils ont une vision de leur environnement où tout est interrelié, le vivant comme le non-vivant, le tangible et l’intangible. Comme scientifiques, nous ne pouvons pas arriver avec nos gros sabots et déclarer, du haut de notre tour d’ivoire, que tout ça est faux. Il faut valoriser ces échanges, car ils sont
synonymes de solutions », fait-il valoir.
Vers un camp vert
Au kilomètre 456 de la ligne ferroviaire Tshiuetin, à mi-chemin entre Emeril Junction et Schefferville, se trouve la station Esker. Ce camp-dortoir est d’une importance cruciale pour les employés de la compagnie innue Transport ferroviaire Tshiuetin, qui y trouvent en outre un toit pour effectuer des travaux d’urgence. Comme ce camp isolé en milieu nordique n’est pas relié au réseau électrique d’Hydro-Québec, les travailleurs sont contraints d’utiliser une génératrice au diesel pour s’éclairer, se chauffer et subvenir à leurs besoins. Mais le coût environnemental est assez élevé : plusieurs milliers de litres de carburant sont utilisés chaque année pour l’électrifier.
« L’entreprise trouvait que la facture énergétique du camp Esker était astronomique. Pour vous donner une idée, il en coûtait de trois à quatre fois plus par mètre carré pour le chauffer par rapport à une résidence normale située à Sept-Îles », raconte Daniel Rousse, professeur à l’École de technologie supérieure. Avec des collègues du Cégep de Sept-Îles et de l’UQAR, le chercheur a été mandaté, il y a quelques années, pour réduire la dépendance du camp aux énergies fossiles. Pour ce faire, plusieurs paramètres ont été considérés, de l’isolement géographique de l’endroit à la topographie en passant par l’ensoleillement et la vitesse des vents.
À la suite de cette analyse énergétique, menée de concert avec la compagnie, deux solutions ont été envisagées. La première : remplacer la vieille génératrice de 150 kW, trop grosse pour les besoins du camp, par une série de petites de 10, 20 et 30 kW qui fonctionne en séquences et est contrôlée de manière intelligente. La seconde, plus novatrice : instaurer un système hybride reposant en partie sur l’éolien et le solaire, voire la biomasse (copeaux de bois).
Au bout du compte, Transport ferroviaire Tshiuetin a néanmoins décidé de maintenir le statu quo, pour des motifs économiques. « Il ne faut jamais oublier que nous sommes des chercheurs universitaires qui, par définition, souhaitons implanter une solution idéale. Au moins, ce projet leur aura donné l’heure juste, ce qui est déjà un bon pas par en avant », se réjouit Daniel Rousse. En outre, les conclusions de ces travaux pourraient être récupérées dans un contexte similaire, en sites nordiques isolés.
Image en ouverture: Shutterstock.com