La santé mentale des étudiants universitaires s’est détériorée depuis le début de la pandémie. De quelle façon peut-on garder ces apprenants motivés?
Confinés devant leur écran, privés qu’ils étaient de l’énergie du campus, des contacts avec leurs camarades de classe et des soirées festives avec les amis, les étudiants universitaires ont trouvé la dernière année scolaire longue, très longue. Et leur santé mentale n’en est pas sortie indemne : en avril dernier, près de 70 % d’entre eux rapportaient qu’ils vivaient de la détresse psychologique. Cette donnée est tirée d’une étude longitudinale menée par l’équipe de Christiane Bergeron-Leclerc, professeure au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Celle qui est aussi travailleuse sociale a sondé en moyenne plus de 1 200 étudiants dans le réseau de l’Université du Québec et à Polytechnique Montréal à trois reprises depuis le début de la pandémie.
Les résultats sont sans équivoque et illustrent l’aggravation de l’état de ces personnes au fil des vagues de la pandémie. En avril 2020, près de 51 % des étudiants éprouvaient d’importantes manifestations d’anxiété ; cette proportion a augmenté à 67 % un an plus tard. Au cours de la même période, ceux qui rapportaient des symptômes de dépression se sont aussi faits plus nombreux, passant de près de 55 % à plus de 69 %.
Cela étant dit, la situation n’était pas rose avant la pandémie : 58 % des 24 000 étudiants universitaires québécois sondés dans 14 établissements présentaient un niveau de détresse psychologique élevé, d’après l’enquête Sous ta façade, réalisée à l’automne 2018 par l’Union étudiante du Québec.
« Tout de même, la détresse psychologique — c’est-à-dire les gens qui vivent des symptômes apparentés à la dépression majeure et au trouble d’anxiété généralisée — a augmenté de façon significative au cours de la crise, d’un temps de mesure à l’autre », observe Christiane Bergeron-Leclerc, qui poursuivra son étude au moins jusqu’en 2022.
En revanche, ses recherches montrent une diminution notable des manifestations associées au trouble de stress post-traumatique, qui, elles, ont passé de 34 % en avril 2020 à 24 % cette année. « Ces données confirment que la pandémie et le confinement sont des événements potentiellement traumatiques, indique la chercheuse. Néanmoins, on a observé une diminution de ces manifestations dans le temps, ce qui montre qu’il y a eu une forme d’adaptation. »
Son équipe amorce maintenant une collecte de données auprès des étudiants pour savoir ce dont ils aimeraient bénéficier comme mesures d’accompagnement. « Mais déjà, on sait que des stratégies de promotion et de prévention en santé mentale sont importantes, dit Mme Bergeron-Leclerc. Les pratiques de soutien par les pairs me paraissent aussi une avenue pertinente. Et, dans une perspective systémique, si l’on veut soutenir les étudiants, il faut aussi réfléchir à la manière de soutenir les employés de l’université » (voyez l’encadré plus bas sur cette page).
Maîtriser l’école virtuelle

Cathia Papi, professeure spécialisée en enseignement à distance au Département Éducation de l’Université TÉLUQ. Image: TELUQ
Il est vrai que si les étudiants ont pu s’adapter, ce n’est pas étranger à la façon dont le personnel de l’éducation s’est ajusté rapidement à l’enseignement à distance. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a d’ailleurs voulu le soutenir dans ce virage majeur. Cathia Papi, professeure spécialisée en enseignement à distance au Département Éducation de l’Université TÉLUQ, a été chargée de créer une formation pour les enseignants du préscolaire, du primaire, du secondaire et du collégial, ainsi que pour les professeurs et chargés de cours à l’université. C’est ainsi qu’est née J’enseigne à distance, une formation offerte gratuitement qui a été regardée par plus de 221 500 utilisateurs dans 178 pays, dont 86 % sont des Canadiens. « On est très contents d’avoir pu aider des enseignants à l’extérieur de la province ; on est tous dans le même bateau », souligne Mme Papi.
En effet, si certains ont adopté l’enseignement virtuel, d’autres ont eu du mal à se familiariser avec ce nouvel environnement, et ce, même si les outils technologiques n’avaient pas de secret pour eux. « Maîtriser une plateforme ne fait pas nécessairement de vous un bon pédagogue à distance », fait remarquer la spécialiste.
Pour y arriver, l’enseignant doit prendre en considération plusieurs paramètres. Par exemple, dans le monde réel, les étudiants ont le temps de faire connaissance avant que la classe commence. Sur Zoom, tous sont catapultés ensemble en un clic et se voient ainsi pour la première fois. Bonjour l’ambiance ! « L’enseignant doit d’abord créer des activités “brise-glace”, suggère Cathia Papi. Puis, s’il demande aux étudiants de travailler en groupe, il doit être là pour les guider. Il doit aussi alterner le travail de groupe et individuel. »
Il faut aussi se questionner sur l’utilisation à bon escient du temps de cours. « On ne peut pas donner son cours de trois heures sur Zoom comme on le ferait en présentiel, affirme Mme Papi. Ce serait trop horrible pour les pauvres étudiants, qui devraient regarder quelqu’un parler à l’écran pendant six heures dans leur journée s’ils enlignent deux cours de suite ! La fatigue visuelle est à prendre en considération. » Elle conseille plutôt de concevoir l’enseignement en variant les activités, comme la lecture d’un texte, une discussion de groupe ou un travail d’équipe avec l’appui ponctuel de l’enseignant.
L’accompagnement des étudiants est d’ailleurs capital lorsque tout se fait à distance. « L’enseignant doit être proactif pour garder ses étudiants motivés, ajoute la professeure. Il est essentiel qu’il fasse beaucoup de rétroaction, la plus positive que possible. Il ne doit pas laisser passer 10 jours sans avoir de nouvelles de ses étudiants. » Elle poursuit : « À distance, c’est très facile de les perdre. En les contactant fréquemment, il est possible d’arriver à les raccrocher avant qu’ils n’abandonnent complètement. »
En fin de compte, si l’école virtuelle n’est pas au goût de tout le monde, elle fonctionne bien pour plusieurs. « En formation à distance, le taux d’abandon était supérieur à celui du présentiel bien avant la pandémie, mais ceux qu’on réussit à accrocher à distance réussissent aussi bien que les autres, précise Cathia Papi. L’autonomie que procure l’enseignement à distance est avantageuse pour plusieurs. »
«À distance, c’est très facile de perdre [des étudiants]. En les contactant fréquemment, il est possible d’arriver à les raccrocher avant qu’ils n’abandonnent complètement.»
Cathia Papi, professeure à l’Université TÉLUQ
Les inscriptions en hausse
D’ailleurs, les inscriptions de citoyens canadiens ont augmenté de 4 % dans les universités québécoises entre la rentrée automnale de 2019 et celle de 2020. C’est le cas surtout chez les 25 ans et plus, qui semblent avoir profité de la crise sanitaire pour retourner aux études. Entre septembre 2019 et septembre 2020 — au moment où l’on parlait du spectre de la deuxième vague —, les inscriptions dans ce groupe d’âge ont augmenté de 6,6 %. Chez les 24 ans et moins, l’augmentation est de 1,7 %.
Cependant, la situation est bien différente du côté des étudiants étrangers : plusieurs d’entre eux n’ont pu venir ou rester au Canada en raison des déplacements internationaux limités, et parfois même interdits. « On parle d’une baisse de près de 20 % entre 2019 et 2020, alors qu’on sait que ces étudiants sont vitaux sur le plan financier pour les universités québécoises », explique Pierre Doray, professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Au cours des prochains mois, le chercheur s’intéressera à l’expérience vécue par les étudiants pendant la pandémie : « On réalisera des entretiens avec des étudiants de différents programmes et on fera des enquêtes auprès des établissements pour examiner de plus près les mesures mises en place pour s’ajuster et aider les étudiants. Ainsi, on pourra évaluer leurs effets sur le parcours des étudiants. »
Enfin, le chercheur continuera de surveiller les données liées aux inscriptions pour voir si elles se maintiendront. « Lorsque les effets de la pandémie et des restrictions sanitaires s’allégeront, est-ce que les universités auront acquis une forme de souplesse pour permettre aux gens qui sont retournés au bureau de continuer d’étudier afin d’aller chercher leur diplôme ? Ce sera à voir. »
Qu’en est-il des profs ?
Si les étudiants universitaires vont plutôt mal, comment se portent leurs professeurs et les chargés de cours ? «Nous nous sommes intéressés à ce sujet puisqu’il va de pair avec celui de la santé mentale des étudiants : les enseignants qui se portent bien peuvent contaminer positivement le bien-être des étudiants et vice-versa», affirme Christiane Bergeron-Leclerc, de l’UQAC.
Les résultats de son étude montrent que ces professionnels s’en sortent mieux que les étudiants. Environ 40 % des enseignants ont atteint les seuils cliniques pour le trouble d’anxiété généralisée et le trouble dépressif majeur depuis le début de la pandémie. « Il ne faut toutefois pas minimiser la détresse qu’ils ont vécue, prévient la chercheuse. La surcharge de travail a été réelle. Il y a eu beaucoup de départs anticipés à la retraite et de congés de maladie. Et plusieurs couples ont éclaté. »
Néanmoins, Christiane Bergeron-Leclerc est convaincue que si les professeurs et les chargés de cours s’en tirent mieux, c’est parce qu’ils n’en sont pas à la même étape dans leur vie que les étudiants. Ces derniers sont en transition vers la vie adulte. « C’est une période reconnue pour créer des vulnérabilités », fait valoir la professeure. « Les enseignants ont atteint un moment de leur vie où ils jouissent d’un certain confort matériel et, dans bien des cas, d’une sécurité d’emploi. Avant la pandémie, plusieurs étaient déjà habitués à faire du télétravail. Même si la situation est difficile, ils sont motivés pour faire de leur mieux afin que leurs étudiants ne soient pas pénalisés par la crise », conclut-elle.