L’oxydation hydrothermale, une manière moins coûteuse et polluante de se débarrasser des boues municipales, acquiert actuellement ses lettres de noblesse dans la région de Sorel-Tracy.
On désigne par le terme boue municipale, politiquement correct − et franchement moins dégoûtant, − le principal déchet produit par les quelque 800 stations d’épuration du Québec à partir des eaux usées domestiques. Dans les petites agglomérations, cette matière organique à la texture pâteuse s’obtient à la suite d’un long séjour des eaux usées dans de gros bassins où les solides se dégradent à l’air libre sous l’activité de microorganismes. Le processus, assez long, mène à l’accumulation de boues au fond des étangs.
Après quelques décennies, l’amoncellement devient trop important et il faut procéder à la vidange des bassins. Cette opération implique entre autres des centaines de voyages en camion jusqu’au lieu d’enfouissement, d’incinération ou, au mieux, de recyclage par épandage. Complexe, coûteuse et à l’origine d’émissions considérables de gaz à effet de serre, elle occasionne bien des maux de tête aux administrations municipales. Parlez-en à celles de L’Assomption et de Saint-François-du-Lac, qui sont passées par là dans les dernières années.
Une solution de rechange
La récente inauguration d’un laboratoire de technologies propres à Sorel-Tracy, une ville de 35 000 habitants de la Montérégie, pourrait néanmoins changer la donne. Le laboratoire d’oxydation hydrothermale (OHT), qui s’intéresse également aux fluides supercritiques (voir l’encadré de la page suivante), se consacre comme son nom l’indique à l’étude de ce procédé méconnu. Aussi appelé « oxydation en voie humide », il consiste à utiliser une eau très chaude (de 150 à 600 °C), sous pression et enrichie en oxygène, comme solvant pour favoriser des réactions chimiques qui dégradent les composés organiques contenus dans les boues municipales. Les composés rendus inorganiques sont récupérés sous forme de sable inerte et recyclable. Surtout, on évite l’étape de déshydratation des boues, ainsi que le transport et l’enfouissement.
« L’OHT comporte de nombreux avantages par rapport aux procédés traditionnels. Elle produit de l’eau chaude valorisable, qui peut être utilisée, par exemple, pour le chauffage de bâtiments ou de procédés industriels », explique Jean-François Vermette, directeur scientifique du Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI), affilié au Cégep de Sorel-Tracy, où se situe le nouveau laboratoire de 167 m2. Il s’agit de la première installation du genre à échelle pilote au Canada.
Ce n’est pas tout. Rapide (de 10 à 20 minutes), le procédé permet d’éviter l’émission de gaz nocifs comme les oxydes d’azote et les dioxines et furanes lors de la combustion de matières résiduelles. Le traitement par OHT réduit en outre la très grande concentration organique des résidus ciblés, ce qui augmente leur potentiel de valorisation. « L’OHT est une solution de traitement pour résidus organiques variés, comme ceux de papetières et les effluents d’hôpitaux contenant des composés pharmaceutiques », précise Jean-François Vermette.

Le maire de Sorel-Tracy, Serge Péloquin, et le directeur scientifique du CTTEI, Jean-François Vermette, examinent le tout nouvel équipement pilote d’oxydation hydrothermale. Image: Ville de Sorel-Tracy
Que sont les fluides supercritiques ?
Les fluides supercritiques sont des substances qu’on chauffe jusqu’au moment où leurs propriétés changent, en fonction d’un point de température et de pression précis. Les substances acquièrent alors des caractéristiques uniques en leur genre. Le dioxyde de carbone (CO2), l’un des fluides supercritiques les plus connus et utilisés, peut ainsi devenir un excellent solvant lorsqu’il dépasse simultanément 32 degrés Celsius et 72 bars. Il remplace alors avantageusement les solvants organiques, comme l’acétone ou l’hexane, réputés nocifs pour la santé et l’environnement. L’OHT fait partie de la grande famille des procédés qui font appel aux fluides supercritiques. L’OHT fait partie de la grande famille des procédés qui font appel aux fluides supercritiques.
Partenariat gagnant
Le CTTEI a reçu un coup de pouce de la Ville de Sorel-Tracy dans la concrétisation de cette installation financée à hauteur de 2 500 000 $ par la Fondation canadienne pour l’innovation, le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec et Desjardins. En plus d’un soutien financier récurrent de l’ordre de 20 000 $ depuis cinq ans, la Ville met à la disposition des chercheurs ses trois étangs aérés afin qu’ils puissent y tester l’OHT. « Leur capacité n’est pas sur le point d’être dépassée. Mais le jour où nous devrons nous débarrasser de nos boues municipales, nous espérons pouvoir tirer profit de cette technologie », indique Serge Péloquin, maire de Sorel-Tracy.
Le Centre étudie l’OHT depuis 2014. Il s’était alors doté d’un petit réacteur fermé d’une capacité de 150 ml, en plus de multiplier les collaborations avec des entreprises et des centres de recherche d’Europe, où le procédé est bien implanté. Une fois la preuve de concept faite, le CTTEI a acquis en 2018 un réacteur plus gros (450 ml) dans le but de pousser plus loin ses expérimentations. Le nouveau laboratoire à échelle pilote comporte pour sa part un équipement d’OHT en continu − une pompe sous pression achemine sans interruption des résidus organiques variés dans le système à raison de 8 L par heure.
À échelle industrielle, un équipement d’OHT peut traiter 1 000 L de boue par heure, voire davantage. Cette capacité constitue un argument de choix pour inciter plusieurs municipalités québécoises à investir dans cette technologie d’avenir. « Les modèles d’évaluation économique élaborés jusqu’ici démontrent la compétitivité de l’OHT par rapport à l’enfouissement dans une majorité des cas étudiés. Pour achever de convaincre les futurs acheteurs, il faut maintenant raffiner ces modèles », affirme Jean-François Vermette.
À venir
L’OHT fait son entrée dans le paysage industriel alors qu’on assiste à un resserrement des règles environnementales. À terme, elle pourrait participer à l’atteinte des objectifs provinciaux et fédéraux en matière de lutte contre les changements climatiques et de transition vers une économie plus circulaire. Dans tous les cas, la Ville de Sorel-Tracy se situe à l’avant-garde de cette transformation. « Des dispositifs d’OHT pourraient être fabriqués ici même, dans la région. On parle de retombées économiques importantes, fait valoir Serge Péloquin. Je suis persuadé que mes confrères, à l’échelle du Québec, regardent cela avec intérêt. »
La production de cet article a été rendue possible grâce au soutien de la Ville de Sorel-Tracy et du Centre de transfert technologique en écologie industrielle.
En ouverture de l’article: Les installations du CTTEI à Sorel-Tracy. Image: Ville de Sorel-Tracy