Mohamad Forouzanfar conçoit une nouvelle génération de technologies de suivi du sommeil, cette fenêtre de référence unique sur la santé physique et mentale.
Vous pensez faire partie des 6,4 % de Canadiens aux prises avec l’apnée du sommeil ? Votre partenaire de lit, témoin des pauses involontaires, plus ou moins longues et, surtout, répétitives, de votre respiration en position allongée sera de peu d’aide, malheureusement. Même chose pour le moniteur d’activité physique à votre poignet, dont la précision est pour le moins lacunaire.
Pour en avoir le cœur net, il faut plutôt visiter une clinique du sommeil et y passer une nuit connecté à divers capteurs, comme un électroencéphalogramme, qui permet de mesurer l’activité du cerveau. Il s’agit de fait du seul moyen d’obtenir un diagnostic précis d’apnée du sommeil, puis une ordonnance pour un appareil de ventilation à utiliser la nuit pour régler le problème.

Mohamad Forouzanfar, professeur au Département de génie des systèmes de l’École de technologie supérieure. Photo: École de technologie supérieure
« En plus d’être inconfortables pour les patients, ces mesures doivent être réalisées dans un laboratoire spécialisé [les cliniques du sommeil], déplore Mohamad Forouzanfar, professeur au Département de génie des systèmes de l’École de technologie supérieure. De plus, les données physiologiques acquises sont longuement analysées et interprétées par un professionnel de la santé, ce qui contribue à gonfler la facture. »
Surtout, il y a un coût pour la santé mentale des individus touchés. Une revue de la littérature publiée dans la revue Behavioral Sleep Medicine en 2020 a montré une relation entre cette maladie et les symptômes anxieux et dépressifs. Un argument de plus pour la diagnostiquer le plus tôt possible et bien accompagner les personnes qui en souffrent.
Miser sur l’intelligence artificielle
Mohamad Forouzanfar, qui est spécialiste des systèmes médicaux portables, croit que les méthodes conventionnelles de mesure et de surveillance du sommeil ont fait leur temps. Le besoin pour une solution de rechange est énorme ; après tout, les problèmes de sommeil engendrent des coûts directs et indirects de l’ordre de plusieurs milliards de dollars par année au Québec. On parle de 5,9 milliards pour la seule apnée du sommeil, selon l’Association pulmonaire du Québec.
Il travaille donc à améliorer la captation, le traitement et la modélisation des signaux biologiques. En combinant ces méthodes améliorées avec de puissants algorithmes, Mohamad Forouzanfar espère être en mesure de proposer des technologies portables, discrètes et peu coûteuses de suivi du sommeil en temps réel, à la maison. Le chercheur pense que l’intelligence artificielle (IA) a le potentiel de transformer pour le mieux la relation de plusieurs avec Morphée. « La mise sur pied d’algorithmes d’apprentissage machine pourrait permettre d’analyser automatiquement des données physiologiques, de détecter des maladies et d’en prédire l’apparition », explique-t-il.
Dans les dernières années, il s’est ainsi employé à « entraîner » une IA avec des données issues de la polysomnographie, cette évaluation clinique qui fait office de méthode de référence pour diagnostiquer l’apnée du sommeil. Comme cet examen du sommeil dure longtemps – environ huit heures ! –, la masse de données accessibles au chercheur et à son équipe est considérable.
Nouvelle ère technologique
Bien que préliminaires, les résultats de cette recherche sont encourageants. « Pour l’instant, nos outils sont capables de prédire avec précision plus de 90 % des événements d’apnée du sommeil », se réjouit le professeur Forouzanfar. Il souhaite maintenant appliquer cette même logique à la détection de problèmes de sommeil à l’origine de troubles de l’humeur, comme l’insomnie.
« L’industrie des moniteurs physiologiques pour la surveillance de la santé est appelée à croître dans les prochaines années », prédit-il. Le bandeau SmartSleep Deep Sleep de la société Philips n’est qu’un aperçu de ce qui attend le consommateur fatigué de demain. « L’IA simplifiera la vie des professionnels de la santé, qui pourront prendre de meilleures décisions. »
Illustration: Sophie Benmouyal