Matériau en apparence indestructible, symbole de modernité au 20e siècle, le béton est encore et toujours vénéré, honni… et fragile.
Le béton, plus durable que la brique et moins vulnérable aux attaques de l’environnement que la pierre ? On l’a souvent dit, mais il est surtout plus facile à manipuler, et moins coûteux : en 2020, on en a coulé 6 milliards de mètres cubes dans le monde, ce qui a généré des émissions de dioxyde de carbone équivalant à 7 % de toutes les émissions d’origine humaine.
Alors qu’il est perçu comme un matériau plus fonctionnel que patrimonial, moins noble que le bois ou la pierre, son utilisation remonte aussi loin que dans les constructions monumentales des Égyptiens. Mais ce mélange de granulat, de sable, de gravier et d’eau n’a rien d’invincible devant les forces de la nature, les changements climatiques ou le sel de déglaçage.
Le Québec regorge de bâtiments, de ponts et de tunnels en béton, de qualité diverse, plusieurs ayant été construits dans la foulée de la Révolution tranquille des années 1960. Or, au cours des dernières décennies, parfois de façon spectaculaire, ce matériau a révélé ses failles, entre la démolition du premier pont Champlain (construit en 1962, alors que son voisin, le pont Victoria, toujours debout, fut inauguré en 1859), l’effondrement du viaduc du Souvenir à Laval en 2000, les fragilités du gigantesque Stade olympique de Montréal, ou celles des façades extérieures du Grand Théâtre de Québec, maintenant protégées par un écrin de verre.
« Le béton semble imperméable, mais il est très poreux, précise Lotfi Guizani, professeur au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS). Lors de cycles de gel et de dégel, il se dégrade rapidement. »
C’est aussi vrai pour le béton armé, technique prenant sa source dans les caisses et les réservoirs d’un jardinier français du 19e siècle, Joseph Louis Lambot, qui les fabriquait avec du fil de fer et du mortier pour réduire les fissures. Son procédé a fait école, mais n’a pas résolu tous les problèmes.
Alors, que faire pour protéger le béton, et surtout prolonger sa durée de vie ? « D’abord, ne pas lésiner sur l’entretien, puis tenir compte de sa réhabilitation, ce que l’on ne faisait pas avant puisque le béton était pris ensemble, afin de réduire les coûts, souligne le professeur. Si on touchait une partie, tout le reste s’effondrait. Maintenant, on construit de façon à pouvoir inspecter les parties vulnérables et remplacer n’importe quelle composante. »
L’eau et l’humidité étant de redoutables ennemis, plusieurs chercheurs de l’ÉTS comme Lotfi Guizani développent, entre autres procédés, un béton autocicatrisant. Celui-ci contient un polymère super absorbant qui peut colmater les fissures de façon autonome. « Pour réduire la vulnérabilité du béton, nous avons aussi découvert un moyen d’augmenter le compactage en réduisant la quantité d’eau par des produits chimiques tout en injectant des bulles d’air. Ces dernières deviennent des réservoirs à glace, en hiver, ce qui prolonge la durée de vie du matériau dans les périodes de gel-dégel. »
Lotfi Guizani ne s’en cache pas : ses collègues et lui-même travaillent aussi sur des matériaux inédits qui pourraient à terme remplacer le béton, très polluant et vorace en sable. Mais ce n’est pas demain la veille. « Nous sommes pris avec pour au moins 60 ans ! »
Photo en ouverture: Le chantier du pont Champlain, à la fin des années 1950. Archives de la Société des Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée.
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