Sur cette micrographie électronique à balayage, on voit ici la bactérie Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (en jaune) qui infecte un globule blanc (en rouge). Photo: NIAID
Des scientifiques ont proposé des pistes de solutions pour lutter contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, lors d’un colloque organisé à Montréal dans le cadre du congrès de l’Acfas.
L’augmentation de la résistance des bactéries aux antibiotiques représente l’une des plus grandes menaces pour la santé publique, selon l’Organisation mondiale de la santé. Au pays, on estime qu’en 2018, plus d’un quart des infections bactériennes « étaient résistantes à au moins un antimicrobien de première ligne et que 14 000 décès canadiens étaient associés à la RAM [résistance aux antimicrobiens], dont 5 400 étaient directement attribuables à la RAM », indique un rapport de l’Agence de la santé publique du Canada.
Comment affronter cette menace? Les scientifiques réunis pour le colloque Résistance aux antimicrobiens et usage optimal : quelles sont nos priorités en recherche? le 8 mai dernier offraient des avenues pour combattre les bactéries résistantes aux antibiotiques. En voici deux.
Réduire le temps de traitement
Vous avez peut-être déjà vécu cette situation où vous êtes malade et devez prendre des antibiotiques jusqu’à la fin du traitement, même si vous n’avez plus de symptômes. Cette recommandation vise à éviter le développement de bactéries résistantes aux antibiotiques.
Cependant, selon Luc Bergeron, professeur à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval, les études qui supportent cette affirmation ne sont pas solides pour les infections causant les pneumonies. « Les cliniciens croient que si l’on arrête trop tôt [le traitement], on va générer un peu plus de risque de développer de la résistance. C’est complètement faux », a affirmé Luc Bergeron.
Ce serait plutôt l’inverse! Une méta-analyse publiée en 2018 comprenant 23 essais contrôlés randomisés et portant sur six types d’infection démontre d’ailleurs que « l’émergence de la résistance est plus faible lorsque l’exposition aux antibiotiques est réduite au minimum ».
D’après Luc Bergeron, il serait donc possible de traiter certaines maladies infectieuses avec des antibiotiques sur une durée écourtée. Car actuellement, la « durée de traitement optimale d’une infection est une information qui est éminemment arbitraire, a signalé le chercheur de l’Université Laval. Quand on regarde la littérature scientifique et d’où viennent les recommandations de durée de traitement, on se rend compte que ce n’est pas basé sur des essais cliniques randomisés ou des études prospectives, mais sur des études de cohortes ou d’expériences cliniques. » Les études de cohortes ou d’expériences sont moins fiables que les essais cliniques randomisés, car des biais peuvent influencer les résultats. Les essais cliniques randomisés, de leur côté, sont considérés comme les plus fiables pour étudier un aspect de la santé humaine.
Mais un changement s’opère depuis quelques années quant à la durée de traitement. Luc Bergeron a raconté que la période « traditionnelle » de temps de traitement contre la pneumonie acquise en communauté a longtemps été de deux semaines. Elle est ensuite passée à dix et huit jours, sous l’impulsion de nouveaux travaux scientifiques convaincants. On réalise aujourd’hui qu’un traitement de trois jours pourrait être suffisant dans les cas de personnes qui ont une bonne santé générale et qui voient leurs symptômes disparaître, a expliqué le chercheur.
Ce type de mise à jour pourrait aider à ralentir la progression de la résistance des pathogènes aux antibiotiques, d’après Luc Bergeron.
Percer l’armure bactérienne
Les bactéries sont entourées d’une enveloppe qui les protège de leur environnement. L’intégrité de cette enveloppe, essentielle à la survie bactérienne, est souvent ciblée par les antibiotiques, comme la pénicilline et la vancomycine qui contrecarrent son assemblage. Par exemple, la pénicilline se lie à certaines enzymes de l’enveloppe, empêchant certains éléments (les peptidoglycanes) de se former complètement.
Mais les bactéries qui acquièrent une résistance aux antibiotiques déjouent ces mécanismes, d’où l’importance d’effectuer des recherches sur cette enveloppe, selon Catherine Paradis-Bleau, professeure au Département de microbiologie, infectiologie et immunologie à l’Université de Montréal qui présentait ses résultats au même colloque.
Un très grand nombre de gènes – soit plus de 1 000 – sont impliqués dans la synthèse de l’enveloppe des bactéries. L’équipe de la professeure Paradis-Bleau a réalisé différents essais pour identifier un gène au rôle fondamental et elle a trouvé ElyC. Les cellules bactériennes qui ne possèdent pas ce gène éclatent lorsqu’elles sont en présence d’antibiotiques.
D’après Catherine Paradis-Bleau, le terrain de jeu reste encore inexploré pour découvrir des antibiotiques qui ciblent d’autres éléments de l’enveloppe bactérienne. La chercheuse a précisé à Québec Science qu’il faudrait développer des antibiotiques à l’abri de futures résistances en optant pour la stratégie multi-cibles, c’est-à-dire « en ciblant plusieurs cibles [de la bactérie] à la fois. »
La consommation effarante d’antibiotiques à travers le monde
Rym Ben Sallem, chercheuse en microbiologie de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, a présenté le cas de la Tunisie au colloque. Le pays est classé comme le deuxième consommateur d’antibiotiques à l’échelle mondiale, selon des données de 2015. Il arrive après la Turquie, qui remporte la palme de ce palmarès peu enviable. Le Canada, lui, arrive en 38e position des pays les plus consommateurs d’antibiotiques.
En Tunisie, le recours abusif aux antibiotiques chez les humains et les animaux a pour conséquences « l’augmentation des taux de bactéries résistantes de différentes origines : humaine, animale, environnementale », a souligné Rym Ben Sallem. Elle milite pour la mise en place d’outils de surveillance pour évaluer la résistance aux antibiotiques.