Dans un contexte où le nombre de maladies inflammatoires intestinales explose chez les plus jeunes, le docteur Prévost Jantchou améliore le parcours de soins de ce groupe particulier.
Un diagnostic de maladie inflammatoire intestinale est toujours une mauvaise nouvelle. Surtout durant l’enfance ! À redouter : de terribles douleurs abdominales, ainsi que, dans la foulée, les risques de carences nutritionnelles, d’anémie, d’un retard de croissance et d’une plus grande probabilité de développer un cancer colorectal. Hélas, l’incidence de la maladie de Crohn et de la colite ulcéreuse, toutes deux des affections chroniques, sont en forte hausse chez les jeunes. Cela est tout particulièrement vrai au Canada, qui est l’un des pays où l’on trouve les taux de maladies inflammatoires intestinales les plus élevés au monde.
Depuis son arrivée au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine en 2011, le Dr Prévost Jantchou, clinicien et chercheur en gastro-entérologie pédiatrique, est témoin de cette flambée. « Nous sommes passés d’une centaine de cas par année à environ 150. Dans 1 cas sur 4, il s’agit d’un enfant de moins de 10 ans, ce qu’on voyait peu jadis », souligne le professeur au Département de pédiatrie de l’Université de Montréal. Ses recherches sur les facteurs de risque environnementaux de ces maladies et l’amélioration des soins prodigués lui ont valu d’être reçu au sein du Collège de la Société royale du Canada en 2024, « un tremplin formidable pour changer la société », se réjouit-il.
Rendre les malades autonomes
Très tôt dans sa carrière, Prévost Jantchou remarque un curieux phénomène. Il lui semble en effet que les maladies inflammatoires intestinales sont plus fréquentes à des latitudes éloignées des Tropiques. Une carence en vitamine D, synthétisée de manière naturelle sous l’action du soleil, serait-elle en cause ? « J’en avais à tout le moins l’intuition, car, dans mon pays natal, le Cameroun, l’incidence de ces maladies est assez faible », mentionne-t-il. Des analyses sur une base de données comptant plus de 100 000 personnes confirment cette hypothèse. « La supplémentation massive en vitamine D pourrait être bénéfique pour atténuer les symptômes de ces maladies. »
Parmi les autres facteurs de risque connus des maladies inflammatoires intestinales chez les enfants figurent notamment la prise d’antibiotiques, la consommation d’aliments hautement transformés et le mode de vie urbanisé. Autant de pistes à explorer pour mieux accompagner la jeune patientèle. « La prise en charge précoce améliore le parcours de soins, souligne le pédiatre. Si elles sont bien traitées, ces maladies ont peu d’incidence sur la qualité et l’espérance de vie. » Or, encore faut-il que les jeunes patients et patientes adhèrent au traitement. « Les adolescents ont naturellement tendance à le délaisser quand ça va bien », regrette-t-il.
Cette observation fait écho à une autre difficulté vécue par cette population : le passage aux soins adultes, à 18 ans. Une mauvaise transition à cette étape-clé peut se traduire par une faible observance thérapeutique, suivie de rechutes, voire d’hospitalisations. C’est pourquoi l’équipe du Dr Jantchou a collaboré au développement de l’application numérique Injoy (Intestinal Joy). Celle-ci permet aux jeunes de prendre en main leurs propres soins en évaluant leurs symptômes. « L’outil comprend un agent conversationnel mû par l’intelligence artificielle et intégrera sous peu des recommandations en fonction du microbiome de l’utilisateur », précise le chercheur.
Docteur Sourire
En parallèle de ses activités de clinicien-chercheur, le Dr Prévost Jantchou multiplie les implications sociales. Sur TikTok, il vulgarise avec bienveillance et ouverture sa spécialité médicale sous le surnom de Docteur Sourire. Ses vidéos, dont certaines frôlent la demi-heure, sont relayées à ses presque 420 000 abonnés. « Je crois beaucoup en cet idéal de recherche horizontale, qui intègre certes le patient, mais aussi une multiplicité de visages », précise le pédiatre. Celui-ci a également mis sur pied, en 2020, la fondation INSPIRE, dont la mission consiste à favoriser la réussite scolaire des jeunes d’Afrique ou des Caraïbes âgés de 14 à 22 ans, notamment par un programme de mentorat.
Sans surprise, ce personnage charismatique animé par le bien commun fait office de mentor auprès de plusieurs médecins et scientifiques en devenir. Parmi ce groupe, Chloé Vaccarino, étudiante en médecine à l’Université de Montréal, souffre elle-même de la maladie de Crohn. Au sein de l’équipe du Dr Jantchou, elle étudie les liens entre différentes caractéristiques du corps, comme les pourcentages de masse grasse et de masse maigre, et les maladies inflammatoires intestinales. « Malgré son emploi du temps surchargé, le Dr Prévost Jantchou trouve toujours le temps de nous appuyer dans notre propre recherche, confie-t-elle. Il est un peu le médecin que je souhaite devenir plus tard. »

Photo: Christine Muschi
Les questions de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec
Vous avez fondé la fondation INSPIRE pour soutenir la réussite scolaire et professionnelle des jeunes Afro-Caribéens au Québec. Pourquoi cet engagement ?
Je considère que c’est à la fois un devoir moral et une responsabilité collective de s’engager pour la jeunesse. Plus jeune, je n’ai pas eu la chance de bénéficier d’un accompagnement structuré, d’encouragements ou de modèles qui auraient pu m’ouvrir la voie. C’est pourquoi j’ai voulu, avec la fondation INSPIRE, offrir un espace d’écoute, de transmission, d’encadrement. Pour moi, le mentorat ne se résume pas à prodiguer des conseils ponctuels. C’est une démarche d’élévation mutuelle. C’est croire en l’autre avant même qu’il ne croie en lui-même. Je me définis comme un « portier », celui qui ouvre les portes. Pas seulement celles d’un bureau ou d’une occasion, mais celles de la confiance, de l’ambition, de l’audace.
Vous êtes un communicateur chevronné. En quoi ce dialogue avec la société est-il important ? Le transfert de connaissance est-il un défi ?
L’objectif ultime d’un chercheur, c’est d’améliorer concrètement le bien-être de la population. Le dialogue avec les jeunes et avec le grand public est donc essentiel. Il ne s’agit pas simplement de transmettre un savoir, mais d’entrer dans une relation d’écoute mutuelle : comprendre les préoccupations, déterminer les besoins et y répondre de manière pertinente. La science doit être un pont, pas une tour d’ivoire.
C’est dans cette perspective que je multiplie les canaux de communication : conférences, réseaux sociaux, romans… Chaque espace est une occasion de dire ce que je fais, mais aussi de faire ce que je dis. Tendre la main, partager, inspirer : ce sont des prolongements naturels de ma vocation de chercheur. Oui, le transfert de connaissances est un défi pour les laboratoires. Mais c’est aussi une formidable occasion : celle de rendre la recherche vivante, utile et profondément humaine.
Quel effet vos jeunes patients et patientes ont-ils sur votre métier et sur vos recherches ?
Ma recherche est centrée sur les patients ; sur leurs besoins, leurs attentes, leurs angoisses. Très souvent, en clinique, un jeune me demande : « Pourquoi moi, docteur ? Pourrais-je un jour guérir ? » Ces questions nous ramènent à l’essentiel : la science doit d’abord servir à comprendre et à soulager. Ce sont ces interrogations qui me poussent à aller plus loin, à bâtir des projets qui ont du sens. Qui écoutent, qui répondent, qui respectent.
Je crois à une recherche éthiquement engagée, et cela passe par une vraie place donnée aux patients comme partenaires de soins et de recherche. En pédiatrie, cela implique aussi les parents. Leur voix, leur vécu, leurs inquiétudes nourrissent ma réflexion et m’aident à mieux cerner les angles morts de la recherche traditionnelle.
Mais pour établir un partenariat solide et équitable, il faut aussi pouvoir comprendre sa propre santé. C’est là que la boucle se boucle, avec ma mission de vulgarisation : donner les clés pour permettre à chacun, petit à petit, de maîtriser ce grand manuel du corps humain. C’est cette dynamique qui donne toute sa valeur à mon métier de chercheur. Et c’est, je crois, ce qui donne aux découvertes un véritable impact.
* Le scientifique en chef du Québec conseille le gouvernement en matière de science et de recherche, et dirige le Fonds de recherche.
Photo : Jean-François Hamelin
En partenariat avec le Fonds de recherche du Québec.