Image: pearson0612/Pixabay
En décembre, le Canada et d’autres pays riches lançaient leur campagne de vaccination massive, un tournant dans la bataille contre le virus de la COVID-19. Un privilège dont certains pays moins nantis ne pourront peut-être pas jouir avant deux ou trois ans.
Selon Andrea Taylor, experte en innovation sanitaire et santé mondiale à Duke University et qui suit l’approvisionnement et la distribution des vaccins dans le monde, le Canada aurait potentiellement de quoi vacciner 5 fois sa population. Mme Taylor précise toutefois que le pays a acheté ces doses à différents manufacturiers alors que les vaccins étaient encore en phase précoce de développement. Il s’agissait donc d’une sorte de pari, car les vaccins ne seront peut-être pas tous mis sur le marché. Cet engagement précoce auprès des fabricants assure ensuite au pays de recevoir en priorité des doses une fois le vaccin approuvé.
Jusqu’à présent, deux vaccins ont été autorisés par Santé Canada (en date du 8 janvier 2021), celui de Pfizer et celui de Moderna. Le Canada n’est pas le seul à avoir profité de son pouvoir d’achat. Les pays qui ont les moyens financiers ont aussi mis la main sur des millions de doses de vaccins à l’avance.
D’après le Duke Global Health Innovation Center, en date du 29 décembre 2020, «les achats confirmés couvrent 8,6 milliards de doses, et 3,5 milliards de doses supplémentaires sont actuellement en cours de négociation ou réservées. De ce lot, la moitié – 4 milliards – sont destinées aux pays riches.
Cela n’étonne pas la spécialiste Andrea Taylor. «Il s’agit d’achats risqués et il faut bénéficier de certaines réserves financières pour le faire. C’est pourquoi les pays à plus haut revenu ont pu investir dans un certain nombre de vaccins pour protéger leur population», indique-t-elle. Cela soulève par contre une autre inquiétude : celle que les pays sous-développés soient les derniers à recevoir leurs doses. «Les pays riches sont en tête de liste en raison de leur pouvoir d’achat, de leur capacité à investir dans la recherche et dans le développement des vaccins. C’est comme si ceux-ci étaient entrés dans un magasin en vidant les rayons. Maintenant, les autres pays doivent attendre que les rayons soient réapprovisionnés, et cela peut prendre un an», estime l’experte. Elle estime même que les pays pauvres risquent d’attendre 2023 avant d’obtenir des vaccins à cause de la capacité restreinte de fabrication. «Les pays riches ont déjà commencé leur campagne de vaccination massive alors que les pays à faible revenu n’ont toujours pas de promesse de vaccins à venir», ajoute-t-elle.
L’experte n’est pas la seule à se préoccuper de cette situation. Selon un rapport publié par OXFAM, si aucune mesure urgente n’est prise, «dans près de 70 pays pauvres, seulement 1 personne sur 10 pourra avoir accès au vaccin d’ici l’an prochain».
Halte au nationalisme vaccinal
Sans une distribution équitable des vaccins entre les pays, la lutte contre le virus de la COVID-19 à l’échelle mondiale risque d’être ralentie. «Le nationalisme en matière de vaccins nous nuit à tous et est autodestructeur», signale Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le dirigeant de l’OMS appelle les nations à faire leur part. «Les vaccins offrent un grand espoir de renverser la tendance de la pandémie. Mais pour protéger le monde, nous devons veiller à ce que toutes les personnes à risque partout – et pas seulement dans les pays qui peuvent se permettre d’acheter des vaccins – soient vaccinées», disait-il. Il incite du même coup les pays à contribuer à l’initiative internationale COVAX, à laquelle le Canada participe, pour l’achat de vaccins destinés aux pays à revenu faible et intermédiaire et dont l’objectif est de fournir de façon équitable «suffisamment de doses pour 20% de la population des pays». Environ 2 milliards de doses ont déjà été réservées par cette initiative, dirigée par l’OMS, Gavi, l’Alliance du Vaccin et la CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovation)
Selon une déclaration du premier ministre Justin Trudeau en décembre dernier, le Canada serait même prêt à partager ces doses avec les pays qui en ont besoin par le biais de COVAX.