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La stratégie canadienne d’approvisionnement en vaccins est critiquée. Le gouvernement entend profiter de l’initiative internationale COVAX pour recevoir près de 2 millions de doses de vaccin d’ici juin. Devrait-il se prévaloir de ce système conçu davantage pour les pays à faibles revenus?
Qu’est-ce que COVAX?
COVAX, pour COVID-19 Vaccines Global Access, est une initiative mise sur pied en avril 2020 et qui est chapeautée par trois grands organismes : l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI).
L’objectif de COVAX est de fournir un accès équitable aux vaccins contre la COVID-19, autant aux pays riches qu’aux pays pauvres. Ceux qui signent une entente avec COVAX se retrouvent avec une sorte de « police d’assurance », c’est-à-dire qu’ils ont l’assurance d’avoir accès à un éventail de vaccins qui seront éventuellement mis sur le marché.
Plus il y a de nations qui participent à COVAX, plus le pouvoir d’achat de cette organisation est élevé auprès des fournisseurs de vaccins. COVAX, ayant un plus grand volume d’achat, peut alors négocier le prix des vaccins.
Comment fonctionne COVAX?
D’un côté, cela permet à n’importe quel pays d’acheter des vaccins et de s’assurer d’avoir un juste prix. De l’autre côté, un pays riche peut décider de payer pour fournir des doses aux pays en développement. Avec ce système mis en place pour offrir un accès équitable, un pays pauvre a ainsi autant accès aux vaccins qu’un pays développé.
Le Canada a utilisé différentes stratégies pour avoir suffisamment de doses pour sa population. Il a conclu des ententes directement avec les fabricants et a contribué au financement de COVAX à hauteur de 420 millions de dollars. Cette somme sert à sécuriser d’une part des doses pour les Canadiens et de l’autre, finance les pays les plus démunis.
Pourquoi le Canada reçoit-il un flot de critiques?
Le Canada a de la difficulté à s’approvisionner, comme tous les pays dans le monde, qui ont besoin du vaccin en même temps. Le pays est en mauvaise posture, car comparativement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, qui peuvent produire des vaccins sur leur territoire, le Canada ne possède pas d’infrastructures de production.
Le 3 février dernier, COVAX publiait une liste de distribution des pays bénéficiaires, qui sont en grande majorité des pays en voie de développement et qui n’ont pas encore commencé de campagne de vaccination. Les vaccins distribués sont ceux de Pfizer-BioNTech et d’AstraZeneca (en date du 17 février, le vaccin d’AstraZeneca n’a pas encore été approuvé par le Canada). Le Canada, qui apparaît sur cette liste, a choisi de recevoir 1 903 200 doses du vaccin d’AstraZeneca.
Il s’agit d’un non-sens, selon Jillian Kohler, professeure à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto et conseillère indépendante pour l’OMS sur la gouvernance, la transparence et la responsabilité dans le secteur pharmaceutique.
«COVAX est un excellent concept. Si l’offre était suffisante, je ne verrais pas d’inconvénient à ce que nous nous approvisionnions auprès de COVAX, mais le fait est qu’il n’y a pas assez de vaccins dans le monde en ce moment. Le Canada, qui est un bailleur de fonds parmi d’autres pays du G7 pour COVAX est le seul pays du G7 à recevoir des doses via COVAX», dit Jillian Kohler. «Nous avons signé ces ententes l’an dernier, mais nous privons de vaccins les pays qui n’ont pas eu d’accords bilatéraux avec les fournisseurs de vaccins. C’est donc une erreur du point de vue de la diplomatie mondiale de la santé», déclare-t-elle.
Le gouvernement canadien se défend en mentionnant que cet achat ne se fait pas au détriment des pays en voie de développement et que son intention, selon l’attaché de presse de Karina Gould, ministre du Développement international, est «de sécuriser des doses pour les Canadiens, mais aussi de contribuer pour que les pays en voie de développement aient accès à des doses».
De son côté, la professeure en santé mondiale Mira Johri, de l’Université de Montréal, ne trouve pas cette décision problématique, car le pays a le droit d’accepter ces doses pour couvrir ses populations prioritaires, comme les travailleurs de la santé et les personnes âgées. «Est-ce que le Canada aurait pu attendre quelques mois avant de prendre ces doses? Possiblement, je ne le sais pas. Cela dépend si on a vacciné nos populations prioritaires puisqu’on ne possède pas de production nationale», indique celle qui est aussi experte indépendante à l’Alliance GAVI.
Ce que cette situation met en lumière, selon Jillian Kohler, c’est le manque de préparation de la part du gouvernement.
«Pour moi, c’est un problème lié à notre échec en matière de politique intérieure, car même si le gouvernement Trudeau a conclu désespérément des accords non transparents avec les fournisseurs l’an dernier, et sécurisé une quantité excessive de vaccins pour les Canadiens, la réalité est que c’est un désastre complet notamment à cause d’éléments hors de leur contrôle, comme les pénuries d’approvisionnement. Il y a eu un manque de réflexion sur ce qui se passerait dans le pire des cas. Et le pire scénario est celui que nous vivons aujourd’hui», déclare Jillian Kohler.
Joanne Liu, médecin pédiatre et ancienne directrice de Médecins sans frontières, mentionnait au micro de l’émission The Current, à CBC, que cela l’inquiète aussi. Elle juge qu’il faut évidemment vacciner les groupes les plus à risque, mais que l’on doit trouver un juste équilibre entre immuniser les Canadiens et les autres populations dans le monde. «Si nous voulons vaincre la COVID-19, ce n’est pas seulement ici, au Canada, qu’il faut le faire, mais également dans le monde entier.»
La professeure Jillian Kohler renchérit. «Si les choses se passent mal ailleurs, cela aura un impact sur nous tous. Il est dans notre intérêt de s’assurer que nous nous occupons des pays les plus pauvres. C’est ce que COVAX est censé faire.»