Image: Luisella Planeta Leoni/Pixabay
La contagiosité du variant Delta force le gouvernement à imposer le masque en classe dès la première année du primaire dans neuf régions du Québec.
Ici et ailleurs dans le monde, le variant Delta, plus contagieux, est désormais responsable de la majorité des nouvelles infections de COVID-19. Les jeunes de moins de 12 ans, qui représentent environ 13% de la population québécoise, n’ont pas encore accès au vaccin. Ils pourraient donc être des vecteurs importants de l’infection.
Aux États-Unis, selon l’Académie américaine de pédiatrie, les enfants représentent 15 à 20% des nouveaux cas de COVID-19. Les hospitalisations d’enfants ont atteint un sommet depuis le début de la pandémie, bien qu’ils représentent moins de 2% des patients.
Jusqu’à présent, dans les deux hôpitaux pédiatriques de Montréal, on compte peu d’hospitalisations liées à la COVID-19 chez les tout-petits. Cependant, le personnel de la santé s’attend à recevoir plus de patients avec la rentrée scolaire et espère ne pas avoir à faire face à une vague aussi importante que celle des États-Unis.
Devant les inquiétudes grandissantes, le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge a annoncé en conférence de presse le 24 août que le port du masque sera obligatoire dans les classes et pendant les déplacements pour les élèves à partir de la première année du primaire pour neuf régions, dont Laval, la Montérégie et Montréal. Ces régions affichent un taux de propagation plus élevé. Avec cette mesure, le ministre veut « garder les élèves à l’école et éviter le plus possible de basculer en enseignement à distance. » À noter que le concept de bulle-classe ne sera plus obligatoire.
D’autres provinces, comme l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique, ont déjà indiqué qu’elles rendaient le port du masque obligatoire à l’école.
Nous avons discuté de la situation avec deux experts en pédiatrie : le Dr Earl Rubin, directeur de la division des maladies infectieuses de l’Hôpital de Montréal pour enfants, et la Dre Caroline Quach-Thanh, pédiatre et microbiologiste-infectiologue du CHU Sainte-Justine.
Comment la nouvelle du retour du masque en classe est-elle accueillie chez les experts?
Le Dr Earl Rubin est soulagé que le gouvernement revienne sur sa décision pour le port du masque dans les classes. « Le gouvernement essaie de trouver un équilibre entre les besoins et les souhaits de la population ainsi que des connaissances actuelles », observe-t-il.
De son côté, la Dre Caroline Quach-Thanh croit que cette mesure convient pour la rentrée scolaire. « Il faudrait, idéalement, qu’on puisse ensuite l’adapter selon le statut vaccinal des élèves d’une classe donnée [au secondaire]. Je pense que si toute la classe est vaccinée, le masque pourrait être retiré, une fois que chacun est assis à sa place – avec une distance d’au moins 1 mètre, idéalement 2, entre les places », indique-t-elle.
Les experts rappellent aussi que la situation est différente de la précédente rentrée scolaire avec la présence dominante du variant Delta. « Le variant Delta peut causer une 4e vague, rapporte Dre Caroline Quach-Thanh. On regarde ce qui se passe aux États-Unis et on espère ne pas être pris dans les mêmes méandres. Cependant, on sait que l’on n’est pas différent des autres – à part le fait qu’on ait une meilleure couverture vaccinale qu’ailleurs. »
« La grande inquiétude l’an dernier était que les enfants aillent à l’école, rapportent le virus à la maison et le transmettent aux parents et grands-parents », dit le Dr Rubin. Le scénario est différent cette fois : on appréhende que les enfants de moins de 12 ans soient affectés par le virus, étant encore non protégés. « Avec le variant Delta, c’est important que l’entourage des enfants soit doublement vacciné pour les protéger », ajoute-t-il.
Pour freiner la transmission des particules virales dans les classes, en plus de la distanciation sociale et de l’hygiène des mains, le gouvernement devrait déployer d’ici décembre 2021 des appareils pour surveiller la qualité de l’air.
Dans une étude en prépublication sur medRxiv, des chercheurs européens ont examiné la transmission des aérosols dans des classes suisses à deux périodes différentes (printemps-été et hiver). Dans ces classes, on trouvait un élève infecté. Ils ont procédé à différents scénarios (ouvrir 1, 2 ou la totalité des fenêtres qui étaient au nombre de 6) pendant un laps de temps différent (toute la journée, pendant les pauses ou à la fin des classes). Les auteurs rapportent que la ventilation naturelle est influencée par les températures extérieures et intérieures. Ainsi, ils ont remarqué qu’en « ouvrant complètement 6 fenêtres toute la journée pendant l’hiver », cela diminuait jusqu’à 14 fois la quantité d’aérosols dans une classe en présence d’un individu infectieux.
Les chercheurs suggèrent que la ventilation naturelle, le masque et un système de filtration HEPA sont des moyens efficaces de réduire la transmission par aérosols dans les écoles.
Qu’en est-il de l’introduction des tests rapides dans les écoles?
En conférence, le gouvernement a aussi annoncé qu’il comptait recourir aux tests rapides pour détecter les cas positifs « dans certaines écoles à partir de septembre ». Cette mesure pourrait éviter de fermer des classes et contenir les éclosions.
Selon Dre Caroline Quach-Thanh, sans être la panacée, ces tests rapides sont un outil supplémentaire. « Cela pourrait permettre, par exemple, aux élèves ayant de légers symptômes [comme un écoulement nasal] pendant la journée de ne pas être renvoyés d’emblée à la maison. Ils pourraient finir leurs cours si le test est négatif. »
Comme le souligne le Dr Earl Rubin, « il y a cependant des inquiétudes concernant ces tests rapides qui sont moins sensibles. »
Pour y pallier, la pédiatre du CHU Sainte-Justine insiste sur le fait qu’il faut « continuer à avoir une bonne adhésion aux tests réguliers par PCR [prélèvement nasal ou salivaire] afin de maintenir une bonne sensibilité. »
Pourquoi ne vaccine-t-on pas encore les enfants?
Comme le précise une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux, aucun vaccin n’est pour l’instant homologué pour les enfants de moins de 12 ans. « Comme les jeunes de 0 à 11 ans ne peuvent pas être vaccinés pour le moment, c’est d’autant plus important que ceux qui peuvent être vaccinés, de 12 ans et plus, le soient pour qu’on protège tout le monde, y compris les plus jeunes », indique Marie-Claude Lacasse, responsable des relations de presse.
Les compagnies pharmaceutiques, dont Pfizer-BioNTech et Moderna, sont en train de finaliser leurs études cliniques de vaccination des enfants âgés de 6 mois à 11 ans. Ces études ont commencé après celles effectuées chez les adultes. Une fois les résultats obtenus, il faudra attendre l’autorisation finale de Santé Canada avant de procéder à la vaccination. « Les agences réglementaires s’assurent de l’efficacité, l’innocuité et l’aspect sécuritaire du vaccin. Il n’y a aucune nécessité d’aller plus vite que le protocole habituel. Si l’on devait passer outre ces protections, on prendrait un risque non nécessaire », souligne la Dre Quach-Thanh.
Le vaccin stimule le système immunitaire, qui peut réagir différemment selon l’âge de l’enfant. C’est pourquoi il est important de réaliser des études cliniques autant chez les jeunes que les adultes.
« On veut vraiment s’assurer que toutes les populations ont été prises en compte dans les essais cliniques. On ne peut pas présumer que la réponse immunitaire chez un homme blanc de 50 ans sera la même que chez une femme asiatique de 70 ans ou chez un enfant noir de 2 ans. On doit avoir une diversité génétique, ethnique et d’âge pour être sûr que le vaccin est efficace, provoque une réponse immunitaire et qu’il est sécuritaire. La réponse immunitaire n’est pas transposable d’une population à une autre », explique la Dre Quach-Thanh.
D’après les deux experts interviewés, le vaccin pourrait être autorisé d’ici 1 à 2 mois au Canada chez les enfants. Cependant, du côté des États-Unis, l’Académie américaine de pédiatrie s’inquiète du délai d’autorisation du vaccin, qui pourrait n’avoir lieu qu’en 2022, alors que plane la menace du variant Delta.
Le variant Delta provoque-t-il des symptômes plus sévères chez les enfants?
Le variant Delta ayant émergé récemment, on manque encore de données à ce sujet. La hausse des hospitalisations pédiatriques observée dernièrement aux États-Unis doit être nuancée, selon les deux médecins. « Il semble y avoir un plus grand nombre d’admissions aux États-Unis, mais c’est difficile de savoir, toute proportion gardée, si les symptômes sont plus sévères qu’avec les autres variants », avertit la Dre Quach-Thanh. Elle souligne que la hausse des admissions est surtout marquée dans des États où il y a une forte transmission communautaire combinée à une faible couverture vaccinale.
Le Québec pourrait connaître une vague moins importante d’infections étant donné que le taux de vaccination des adultes y est plus élevé qu’aux États-Unis. « La double vaccination fournit vraiment une protection et limite la transmission », insiste Dr Earl Rubin.
Pour l’instant, les symptômes chez les enfants semblent être sensiblement les mêmes. « Il y a eu quelques cas où il y avait moins de perte d’odorat, mais on ne peut pas tirer de conclusion sans avoir une bonne étude plus globale », insiste la Dre Quach-Thanh.
Le variant Delta est-il plus contagieux que les autres variants?
Des modélisations indiquent que le variant Delta est de 40 à 60% plus transmissible que le variant Alpha, et deux fois plus transmissible que la souche originale du SRAS-CoV-2. Une équipe de chercheurs chinois a aussi rapporté, en se basant sur des échantillons viraux provenant de 126 personnes, qu’en moyenne, « la charge virale était 1 000 fois plus élevée pour le Delta que pour les autres variants ». Autrement dit, une personne infectée par ce variant héberge beaucoup plus de virus dans ses voies respiratoires et serait donc plus contagieuse, indique l’étude, en prépublication sur medRxiv.
«Le taux de contagion [soit le nombre de personnes qu’un individu infecté va contaminer] est d’environ 8 personnes. Ainsi, vous introduisez un cas positif et de 6 à 8 personnes non vaccinées peuvent l’attraper. Cela pourrait conduire à des cas plus nombreux dans les écoles primaires », estime le Dr Rubin. Cette capacité d’infection (aussi appelée R0) est bien supérieure à celle du virus de la grippe, par exemple, qui tourne autour de 2. Il approche celle de la varicelle, un des virus les plus contagieux qui soit, et qui est estimée à 9-10.
Il reste que le Delta est beaucoup moins contagieux que la rougeole, qui détient le record puisqu’une seule personne malade peut en contaminer de 12 à 18 autres.
Par ailleurs, il semble que la transmission asymptomatique du variant Delta soit plus importante qu’avec les autres variants. C’est ce que suggère une pré-étude menée en Chine qui rapporte que près de 74% des contaminations ont eu lieu pendant la phase asymptomatique, ce qui rend d’autant plus difficile le contrôle de la chaine de transmission.