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Les bactéries résistantes aux antibiotiques représentent une menace croissante pour le système de santé. Que fait-on pour les contrer?
Hospitalisé et affaibli par une pneumonie, vous recevez des antibiotiques. Mais une bactérie déjà présente dans votre organisme et habituellement inoffensive – E.coli, Klebsiella ou Pseudomonas – devient résistante et prolifère.
Ce scénario risque de devenir de plus en plus courant. Selon un rapport de l’Agence de la santé publique du Canada publié en novembre 2024, on détecte un cas d’infection résistante pour chaque groupe de 220 malades hospitalisés, selon les établissements qui surveillent ces cas.
Bactéries sous surveillance
Le système de santé québécois suit de près l’évolution de la résistance aux antibiotiques. « Nous avons un excellent système de surveillance des infections nosocomiales [contractées en milieu hospitalier] », affirme le Dr Christian Lavallée, microbiologiste-infectiologue à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.
Pour l’instant, les antibiotiques à large spectre permettent encore de traiter la majorité des infections résistantes. « Ils soignent environ 90 % des cas rencontrés dans la plupart des hôpitaux », mentionne-t-il.
Ce qui l’inquiète toutefois est la hausse des infections causées par les « bacilles à Gram négatif producteurs de carbapénèmases (BGNPC) ». Ces bactéries produisent une enzyme (la carbapénémase) qui neutralise les carbapénèmes, une classe d’antibiotiques de dernier recours. « Les infections causées par ces bactéries sont en hausse au Québec depuis les trois dernières années », avertit-il.
Les données de l’Institut national de santé publique du Québec confirment cette tendance : 99 infections à BGNPC ont été recensées en 2023-2024, contre 64 en 2022-2023. Elles se produisent surtout en milieu hospitalier chez des patients et patientes qui y séjournent longtemps et qui souffrent en plus de maladies chroniques.
« Certains patients, malgré tous nos efforts, développent des infections récurrentes, résistantes à tous les antibiotiques disponibles », constate la Dre Makeda Semret, du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), où elle dirige une équipe spécialisée en prévention et dépistage des infections.
Lorsque plus aucun antibiotique classique ne fonctionne, une demande d’accès spécial doit être faite à Santé Canada pour obtenir des traitements antibiotiques de dernier recours, parfois approuvés ailleurs, mais non disponibles de manière courante au pays. Cela peut prendre plusieurs jours avant de recevoir l’antibiotique en question, ce qui est problématique face à des infections graves.
« Dans notre hôpital, nous avons dû recourir à ces traitements de la dernière chance une cinquantaine de fois l’an dernier », précise la médecin.
Le recours aux phages?
À ce jour, l’hôpital Maisonneuve-Rosemont n’a jamais employé la thérapie phagique, une approche qui repose sur l’utilisation de virus ciblant les bactéries résistantes. « Nous n’avons pas le temps, explique le Dr Lavallée. En cas d’infection grave, c’est une question de vie ou de mort en l’espace de quelques jours. Les bactériophages seraient plus appropriés pour les infections chroniques, lorsque le patient n’est pas dans un état critique. »
Utilisation excessive
Depuis leur découverte, l’utilisation des antibiotiques n’a cessé d’augmenter, ici comme ailleurs. Même les pays qui n’avaient pas les moyens d’y accéder en consomment désormais massivement. Résultat : la résistance aux antibiotiques progresse à une vitesse alarmante.
« Si nous continuons à les prescrire aussi largement — souvent par précaution, sans diagnostic clair — le problème va empirer, avertit la Dre Makeda Semret. Trop souvent, un patient présentant des symptômes vagues reçoit un traitement avant même que l’infection soit confirmée. Ensuite, l’antibiotique est prolongé, parfois par oubli, parfois parce que le patient semble aller mieux, sans qu’on sache si c’était nécessaire. »
De son côté, l’équipe de la Dre Semret s’attarde particulièrement sur ces volets d’intervention : la prévention, le dépistage, la surveillance des bactéries et l’usage des antibiotiques.
« Nous surveillons de près la prescription des antibiotiques et intervenons rapidement en cas d’usage inapproprié », explique la Dre Semret. Depuis cinq ans, elle constate une baisse de leur utilisation dans son établissement. « Nos taux de résistance se sont stabilisés », note-t-elle. De nombreuses infections peuvent être évitées selon la médecin. « Il ne faut donc pas se limiter au traitement : la prévention doit être une priorité. »
Les antibiotiques sont une ressource précieuse qui ne doit pas être gaspillée. « Ils ont transformé la médecine en réduisant le taux de mortalité et en permettant des traitements comme la chimiothérapie ou la transplantation d’organes. Il est essentiel de les préserver », insiste la Dre Semret.
Il est aussi nécessaire de continuer d’explorer de nouvelles approches et de développer de nouveaux antibiotiques, un domaine délaissé par l’industrie pharmaceutique. « Nous devons relancer la découverte d’antibiotiques. L’industrie pharmaceutique recommence doucement à s’y intéresser», remarque Dre Semret. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le nombre d’agents antibactériens en cours de développement clinique est passé de 80 en 2021 à 97 en 2023, mais c’est loin d’être suffisant, compte tenu de la probabilité d’échec.
Des bactéries résistantes aux antibiotiques
- Entérocoque résistant à la vancomycine (ERV)
- Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM)
- Bacilles à Gram négatif producteurs de carbapénèmases (BGNPC), incluant : Citrobacter sp., Enterobacter sp., Escherichia coli, Hafnia alvei, Klebsiella sp., Kluyvera sp., Morganella sp., Proteus sp., Providencia sp., Salmonella sp., Shigella sp., Serratia sp.
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