Fou de Bassan avec une bague sur la patte. Image: Roxanne Turgeon
Des plongées de fous de Bassan dans le golfe du Saint-Laurent sont immortalisées grâce à des caméras montées sur leur dos. Ces images, combinées avec l’intelligence artificielle, permettront d’en savoir davantage sur l’écosystème marin.

L’équipe de recherche sur l’île Bonaventure. Image: Marie-Ève Labonté Dupras
La façon «classique» de déterminer ce que mangent les colonies de fous de Bassan de l’île Bonaventure, en Gaspésie, consiste à examiner leurs régurgitations. Il faut savoir que les parents régurgitent régulièrement sur le sol pour nourrir les petits. «Ce n’est pas très ragoûtant, mais c’est une manière d’étudier leur régime alimentaire, explique David Pelletier, enseignant-chercheur en biologie au Cégep de Rimouski. On peut ainsi savoir ce qu’ils ont consommé pendant la saison.»
Cependant, cette technique ne dresse pas un portrait complet de ce que ces grands oiseaux mangent. Car les voyages de pêche des fous de Bassan peuvent s’étirer. Puisque que c’est sur l’île que les chercheurs consignent leurs observations, leurs absences créent un vide dans les données.
La donne est en train de changer. Grâce à la miniaturisation des outils technologiques, il est possible depuis quelques années de placer des caméras performantes sur les animaux. Des experts de plusieurs organisations (Université du Québec à Rimouski, Cégep de Rimouski, Cégep de Matane, Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN)) y ont vu une opportunité d’intégrer des fous de Bassan à leur groupe de recherche. Ils ont placé des caméras sur le dos de quelques oiseaux à l’été 2019, mais le modèle choisi prenait malheureusement l’eau. Ils se sont repris à l’été dernier avec des caméras plus adaptées et les ont testées avec cinq oiseaux. En juin prochain, ils reprendront leurs expériences avec, cette fois-ci, une soixantaine de fous de Bassan.
Le but est d’étudier le régime alimentaire de l’espèce, mais aussi son écosystème. «Le fou de Bassan est la sentinelle maritime du golfe du Saint-Laurent. En l’observant, on comprend mieux ce qui s’y passe, car l’oiseau vit les conséquences des changements en milieu marin», indique David Pelletier.

On voit ici l’équipement sur le dos de l’oiseau : la caméra (gauche)et le GPS (droite). Image: Roxanne Turgeon
Des algorithmes compteurs de poissons
Dès le début du projet, le groupe savait qu’il se retrouverait avec une quantité immense d’images captées sous l’eau, une fois la véritable collecte de donnée commencée. C’est l’équipe du CDRIN qui s’est chargé d’accélérer leur analyse, à l’aide de l’intelligence artificielle, indique la directrice générale, Isabelle Cayer. Pour les algorithmes puissent identifier les poissons dans les flux vidéo, le groupe les a d’abord entraînés à distinguer cinq espèces différentes : le maquereau (le préféré du fou de Bassan), le hareng, le lançon, le capelan et le sébaste.
Les chercheurs ont commencé par fournir des images provenant de caméras placées à l’intérieur des aquariums du musée de Sainte-Anne-des-Monts, Exploramer, un environnement contrôlé où l’eau est claire. «On a ensuite progressé en donnant [au système intelligent] des images d’autres espèces à identifier, mais dans des milieux plus turbides», explique David Pelletier. Après plusieurs mois de développement, les algorithmes étaient assez perfectionnés, avec un taux de reconnaissance de plus de 70%, pour qu’on leur soumette des images prises par les fous de Bassan. Même si l’équipe est satisfaite de ce taux de détection, avec ces premiers résultats, elle continue de peaufiner le processus d’entraînement des algorithmes.
L‘expérience avec les oiseaux se poursuivra jusqu’en 2022. La caméra au cœur de ce projet pèse environ 30 grammes. «On la place dans le bas du dos pour ne pas nuire au centre d’équilibre et à l’aérodynamisme de l’oiseau», indique David Pelletier. Elle se met automatiquement en fonction sous l’eau.
Le dispositif doit pouvoir résister à la force d’impact de l’entrée dans l’eau. Un fou de Bassan peut plonger à 100 km/h! En plus de la caméra, le fou de Bassan est aussi équipé d’un GPS, logé sur sa queue, ainsi que d’un petit appareil – une bague sur sa patte – qui enregistre la profondeur des plongées. Ces outils technologiques comptent pour moins de 2% de la masse corporelle de l’oiseau et sont portés pour une période de 24 heures. Les chercheurs les récupèrent ensuite pour les placer sur un autre oiseau.
Environ «70% des espèces d’oiseaux marins sont en déclin, rappelle David Pelletier. Le fou de Bassan n’est pas en déclin, bien qu’on constate un succès de reproduction plus faible. Face à la diminution de l’abondance de leurs proies, les oiseaux sont capables d’ajuster leur régime alimentaire».
À preuve : en 2019, à partir de l’observation des régurgitations, l’enseignant avait constaté un régime diversifié chez le fou de Bassan, au-delà du poisson : crabes, crevettes et calmars. «On suppose qu’en 2019, il y avait peu d’espèces de poissons disponibles. L’an passé, [toujours avec les régurgitations], on a observé une forte présence de maquereau et de sébaste dans son alimentation.» Le chercheur espère donc que ce projet, avec les caméras et l’intelligence artificielle, aide à comprendre l’interaction entre prédateurs et proies, mais aussi à suivre de plus près les populations de ces poissons.
Des fous de Bassan sur l’île Bonaventure. Image: Mélissa Guillemette