Restitution hypothétique du jeu de l’instrument. Carole Fritz et al. 2021 / dessin Gilles Tosello
Des scientifiques français ont fait résonner à nouveau la plus ancienne conque utilisée comme instrument à vent.
Ce grand coquillage, ancienne demeure d’un triton à bosses, a été découvert en 1931 dans la grotte de Marsoulas, au pied des Pyrénées, dont les parois sont ornées de peintures rupestres datant du paléolithique. «Le coquillage avait attiré l’attention, car il est très gros», explique Carole Fritz, archéologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il fait pas moins de 31 cm de long sur 18 cm de large! On a émis l’hypothèse qu’il avait servi de coupe pendant des rituels des milliers d’années plus tôt. Puis, le coquillage est tombé dans l’oubli.
Par un concours de circonstances, en revisitant les artéfacts, des chercheurs ont réalisé que ce coquillage était en fait un instrument à vent. L’un des co-signataires de l’article scientifique, Emmanuel Kasarhérou, est d’origine kanak. Ce peuple autochtone de la Nouvelle-Calédonie utilise souvent des coquillages comme instruments. Pour lui, cela ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’une conque musicale. «Il y avait également des modifications sur le coquillage qui sont venues nous conforter dans cette hypothèse. Il y a un trou à l’extrémité qui n’est pas le fruit du hasard. C’est la partie la plus robuste du coquillage et il a vraiment fallu un geste volontaire pour casser cette partie appelée apex», indique Carole Fritz.
L’équipe de chercheurs français (CNRS, Muséum de Toulouse, Université Toulouse – Jean Jaurès et musée du quai Branly – Jacques-Chirac) a publié ses résultats dans Science Advances. Ils révèlent que la modification du coquillage servait à y insérer un embout dans lequel on souffle. Ils ont pu observer ces modifications en détail grâce à des scans de l’objet et à sa modélisation en 3D.
À l’intérieur du coquillage se trouvent des marques de peinture rouge réalisées avec le bout des doigts. «Il s’avère que dans la grotte où a été trouvé le coquillage, il y a aussi un grand bison peint à l’aide de 325 points rouges semblables. En fait, on a un lien symbolique graphique entre ce coquillage et le décor de la grotte», mentionne Carole Fritz.
Bison dont le corps est dessiné par des points rouges, sur les parois de la grotte de Marsoulas. Image: Carole Fritz
Cette mélodie qui résonne à nouveau
La conque de Marsoulas.
Image: Carole Fritz et al. 2021
Les scientifiques dévoilent également la mélodie de cet instrument dans l’article scientifique. Ils ont fait appel à un corniste qui y a soufflé trois notes: do, do dièse et ré.
L’archéologue spécialiste en art préhistorique était très émue en entendant ces sons. «Comme archéologue, on est souvent frustrée, car on n’aura jamais de réponses à nos questions sur ces populations maintenant disparues. Pour les comprendre, on étudie les dessins qu’ils ont laissés sur les parois et on fouille leur « poubelle ». Et là, cet objet qui produit un son qui n’avait pas été entendu depuis 18 000 ans, cela représente un lien entre eux et nous. C’est fabuleux!», s’exclame-t-elle.
La redécouverte du coquillage ne semble être que le début de la recherche pour l’archéologue. Maintenant que ses collègues et elle ont identifié l’objet, ils s’attarderont sur la physique du son : comment se propage-t-il à l’intérieur de l’instrument? «On va aller faire résonner [le son] dans la grotte de Marsoulas», ajoute la chercheuse.
Cette nouvelle incitera peut-être d’autres archéologues et conservateurs de musée à examiner d’un autre œil leurs collections. «Il faut savoir les revoir et les réinterpréter avec d’autres technologies», souligne l’archéologue française. Qui sait ce qu’on pourrait y trouver, y entendre?
Écoutez les sons produits par l’instrument:
