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Elles sont là : des milliards de cigales émergent après avoir passé 17 ans sous terre.
Les États-Unis vibrent présentement au son des cigales, qui sortent en masse du sol pour se nourrir, muer, se reproduire et mourir. Cette invasion de cigales périodiques, que l’on appelle «couvée 10» ou «génération X», est bien particulière, car elle a lieu seulement aux 17 ans. «Ces cigales, sous forme de larves, sont nées en 2004 et étaient sous terre depuis tout ce temps. Elles sortent pour se reproduire à leur tour», indique André-Philippe Drapeau Picard, préposé aux renseignements entomologiques à l’Insectarium de Montréal. Quelle vie!
La génération X regroupe trois espèces de cigales (⏯️Magicicada septendecim,⏯️Magicicada cassinii et ⏯️Magicicada septendecula). Elles possèdent toutes un corps noir et des yeux rouges. Les entomologistes les distinguent d’après leurs particularités physiques et leur chant.
Au bout de 17 longues années terrée dans le sol, la larve creuse un tunnel vers la surface et émerge pendant la nuit. Elle grimpera aux branches des arbres pour procéder à sa mue, où elle s’extirpera de son ancienne peau. La cigale s’envolera ensuite vers la cime des arbres pour l’accouplement et la reproduction.
Leur sortie de terre marque les esprits pour plusieurs raisons. D’abord, «ça se passe dans 15 États, c’est donc très étendu d’un point de vue géographique. Il y a des émergences dans les villes populeuses de Washington D.C. et de New York et en périphérie», dit André-Philippe Drapeau Picard.
Ensuite, elles ne passent pas inaperçues. Les mâles qui veulent se reproduire déclenchent une bruyante symphonie à l’unisson grâce à leurs timbales. «Cela ressemble à des peaux de tambour sur lesquels ils activent leurs muscles. Le son est créé en tirant et relâchant très rapidement ces organes spécialisés», dit M. Drapeau Picard. Les femelles, quant à elles, répondent en claquant leurs ailes.
Tous ensemble, «ils font un bruit très, très fort, de 80 à 100 décibels. C’est le bruit des avions à réaction au-dessus de notre tête, observe Michael Raupp, professeur au Département d’entomologie de l’Université du Maryland. Il y a de la romance au sommet des arbres! Rappelez-vous, ce sont des adolescents qui ont été sous terre pendant 17 ans. Quand ils sortent, c’est une grande fête!» Heureusement pour les oreilles humaines, les cigales prennent une pause musicale une fois la nuit venue.
Mystère scientifique
La longueur du cycle et la «ponctualité» de ces cigales mystifie les entomologistes. Michael Raupp, expose l’hypothèse la plus populaire. «Il est possible que ces minuscules créatures aient une horloge interne pour mesurer le temps lorsqu’elles sont sous terre. C’est un peu comme les plantes qui ne fleurissent qu’à certains moments de l’année et à certaines heures du jour.»
Ces cigales périodiques ont peut-être adopté le cycle de 17 ans au fil de millions d’années d’évolution pour éviter les prédateurs, ajoute le spécialiste américain. «Elles émergent simultanément en si grand nombre qu’elles remplissent alors le ventre de tous les prédateurs qui veulent les manger.» Après ce buffet à ciel ouvert pour les animaux gourmands, les cigales restent en nombre suffisant pour perpétuer leur espèce.
Leur très long cycle de vie empêcherait également les prédateurs, comme les ratons laveurs, les renards, les écureuils et les oiseaux, de les pister et les attendre à leur prochaine sortie. Ce n’est donc pas une source de nourriture fiable pour les nombreux chasseurs de cigales.
Le spectre des changements climatiques
Les changements climatiques pourraient affecter ce phénomène grandiose. John Cooley, qui travaille à cartographier la distribution des différentes espèces avec le projet Periodical Cicada Project, prévient que si les sols se réchauffent plus rapidement au printemps avec la venue de températures plus élevées, les cigales pourraient émerger plus tôt au printemps. Il mentionne aussi que le réchauffement du climat affectera sans doute l’horloge interne des cigales. «Nous pourrions observer des émergences en dehors du cycle de 17 ans.»
D’après Michael Rauup, c’est déjà le cas à certains endroits. «J’ai un collègue, aussi spécialiste des cigales, qui m’a expliqué qu’elles apparaissent maintenant deux semaines plus tôt en Ohio. Certaines cigales peuvent changer leur cycle de vie de 17 ans à 13 ans. On s’attend donc à observer de nombreuses perturbations chez les cigales périodiques.»
De plus, les cigales périodiques des États-Unis dépendent des forêts et de nombreux travaux montrent que ces habitats seront perturbés par les changements climatiques. Cela suggère que les fameuses cigales pourraient s’établir plus au nord; qui sait si elles ne viendront pas un jour jusqu’au Québec? Ce ne serait pas bon signe.
Crédit: Samuel Orr, 2013.