Retenez bien ce terme : forçage génétique ou gene drive en anglais. Vous risquez d’en entendre parler au cours des prochaines années.
Dans leurs laboratoires, les scientifiques étudient depuis une cinquantaine d’années le forçage génétique chez les organismes sexués, une technique qui force notamment la transmission d’un gène à sa descendance. Mais cette technique a véritablement pris son essor vers 2010 avec le développement de CRISPR/Cas9, un autre outil de génie génétique qui permet de modifier certaines séquences d’ADN avec une très grande précision.
Le forçage génétique étant devenu plus sophistiqué, les chercheurs ont maintenant la «recette» pour éradiquer des gènes indésirables chez les prochaines générations d’insectes, par exemple. Pensons aux moustiques porteurs de la malaria ou de Zika. Ou bien aux mouches à fruit originaires du Japon qui causent des pertes astronomiques, se chiffrant en millions de dollars, aux agriculteurs de fruits et de légumes de la Californie et du Mexique. Dans le cas du moustique, le forçage génétique permet de l’altérer pour qu’il n’ait plus la possibilité de transporter et de transmettre le virus de la malaria.
Lors d’une conférence récente à ce sujet, Anthony James, chercheur en biologie moléculaire de l’université de Californie, expliquait les avantages du forçage génétique. «C’est un moyen rapide de propager des gènes chez des organismes qui ont des cycles de reproduction courts». Expert de la malaria, il indique que la maladie a pris de l’ampleur ces deux dernières années, mettant à risque des millions de personnes. «Nous avons un besoin urgent de nouvelles technologies pour y faire face», ajoute-t-il. En complément avec un vaccin et des médicaments anti-malaria, le forçage génétique est très peu coûteux.
Jusqu’à présent, le forçage génétique a été expérimenté chez les moustiques et les mouches à fruit ainsi que les levures. Cette technique se révèle intéressante pour les espèces qui se reproduisent rapidement, sur un cycle court. Elle a donc peu d’intérêt chez les humains.
Dans son matériel génétique, un organisme vivant possède deux copies de chaque gène. L’un est hérité de la mère et l’autre, du père. La descendance a alors une chance sur deux de se retrouver avec l’un ou l’autre de ces gènes. Dans le cas du forçage génétique, la technologie pousse le gène sélectionné et le duplique, obtenant des chances de près de 100% de se retrouver chez sa descendance. Elle accélère ainsi la propagation de ce trait génétique.
Des questions éthiques
Cette nouvelle avenue est stimulante, mais soulève aussi des inquiétudes. La communauté scientifique en est bien consciente. Jusqu’à présent confinés dans les laboratoires, ces insectes pourraient bien être relâchés un jour ou l’autre dans l’environnement avec de mauvaises intentions. «Nous sommes très excités par cette technologie, mais cela nous préoccupe aussi de savoir que le forçage génétique pourrait être appliqué à des fins non éthiques», indique Anthony James.
C’est pourquoi certains chercheurs, comme ceux du DARPA, l’agence de défense des États-Unis, travaillent à développer des contre-mesures pour stopper un forçage génétique qui aurait mal tourné.
Mercredi passé, lors d’une conférence sur la malaria, à Londres, le milliardaire Bill Gates faisait entendre que les questions éthiques ne devraient pas freiner la recherche sur le forçage génétique, qui a le potentiel de ralentir considérablement la transmission de la malaria.
Mais avant que ces insectes se propagent dans l’environnement, les chercheurs et les décideurs gouvernementaux devront réfléchir à la façon dont ils anticipent les conséquences de cette nouvelle technologie et les régulations qui l’entourent.

Photo: Pixabay. Animation: SciLine.