On voit ici l’aimant de 15 mètres dans lequel circule les muons au Fermilab. Cette expérience, appelée Muon g-2, étudie l’interaction des muons dans un champ magnétique à -267°C. Image: Reidar Hahn
Des expériences sur le muon, au Fermilab, aux États-Unis, secouent les fondements du modèle standard de la physique des particules. Aurait-on détecté la présence de particules inconnues?
La conférence scientifique du 7 avril dernier, portant sur les derniers résultats concernant le muon, avait quelque chose d’historique. À tel point que Chris Polly, physicien au Fermilab, comparait ce moment à l’atterrissage du rover Perseverance sur Mars. Rien de moins!
Le muon, qui ressemble à l’électron, mais possède une masse 200 fois plus grande, est l’objet d’intensives recherches depuis une soixantaine d’années. Les physiciens tentent depuis longtemps de définir pour de bon l’oscillation (appelée moment magnétique) du muon. Ils l’ont mesurée pour la première fois au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) en 1961. Cependant, le résultat différait de la mesure estimée par le modèle standard, cette théorie qui décrit les particules fondamentales et les forces qui constituent l’Univers. De nouvelles mesures réalisées en 2001 au Brookhaven National Laboratory, aux États-Unis, avaient également confirmé l’étrange écart. D’après cette expérience, le muon oscille beaucoup plus que prévu. Mais vu les techniques imprécises de l’époque, le doute continuait de planer.
Une toupie mystérieuse
Il faut savoir que le muon est une particule élémentaire chargée négativement et extrêmement petite et instable. Il possède un mouvement de rotation, un « spin ». Le physicien français Michel Davier, de l’Université Paris-Saclay, compare ce mouvement à celui d’une toupie. « La particule se comporte comme un tout petit aimant. Si on la place dans un champ magnétique, elle oscillera comme si on lançait une toupie sur la table », illustre-t-il.
Pour mesurer son comportement, les physiciens lancent des muons à travers un anneau auquel ils appliquent un champ magnétique. Dans les années 1950, c’est ainsi que les scientifiques ont découvert que le muon est toujours accompagné d’une sorte de petit nuage de particules qui grouillent autour de lui. « Ces particules sont émises par le muon puis réabsorbées aussitôt », indique le physicien français.
Ils ont compris plus tard que cette réaction explique, en partie seulement, la différence entre la mesure théorique et expérimentale du moment magnétique du muon.
Anomalie confirmée
L’expérience du Fermilab, nommée Muon g-2, a quant à elle commencé en 2018. À partir de ses premières années d’expérimentations, l’équipe internationale de physiciens a réussi à obtenir des résultats d’une très grande précision. Il est maintenant clair que le comportement des muons diverge de la théorie. Cet écart entre la théorie et la pratique, en plus de confirmer les résultats précédents obtenus à Brookhaven, indique qu’il existe des particules inconnues. Cela ouvre de nouvelles avenues scientifiques. « C’est une fenêtre dans cet univers où l’on peut voir l’effet de toutes ces particules. Pas seulement celles que nous connaissons, mais aussi celles qui n’ont pas encore été découvertes », déclarait Chris Polly lors de la conférence. « Nous ne savons pas quel autre monstre se cache là-dedans! »
Bref, les physiciens du Fermilab sont devant un beau problème : ils ont détecté la présence de nouvelles particules qui gravitent autour du muon, mais ils ignorent leur identité exacte. « Le but de cette expérience était d’atteindre un niveau de sensibilité et de précision à tel point qu’on puisse détecter des choses qu’on ne connaît pas encore, c’est-à-dire des nouvelles particules », indique le chercheur Michel Davier, qui a travaillé de nombreuses années au CERN sur le Grand collisionneur de hadrons. « C’est la première mise en évidence expérimentale que le modèle actuel, qui fonctionne très bien pour tous les phénomènes étudiés jusqu’à maintenant, nécessiterait d’être revu pour tenir compte de cet effet [des nouvelles particules] », ajoute-t-il.
Les résultats dévoilés récemment sont les premiers d’une série d’autres à venir. Les physiciens planifient d’autres expérimentations cet été au Fermilab.