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09 septembre 2024
Temps de lecture : 3 minutes

Les orques méconnues – et menacées – de l’Atlantique Nord

Photo: Anaïs Remili

Les orques, vedettes de Vancouver, sont également présentes au large de la côte Est, dans des zones reculées de l’Atlantique Nord. La chercheuse Anaïs Remili étudie les menaces toxiques qui pèsent sur leur santé.

Anaïs Remili, écotoxicologue et étudiante postdoctorale, traque les contaminants qui menacent la santé des orques de l’Atlantique Nord. Car si les populations d’orque du Pacifique sont bien étudiées, on connaît encore peu de choses sur celles qui nagent au large de la côte Est canadienne et de l’Europe.

Aux côtés de ses collègues du Canada, des États-Unis, du Groenland, du Danemark, d’Islande et de la Norvège, Anaïs Remili a relevé des niveaux de pollution préoccupants dans la graisse de ces animaux. Ces résultats ont été publiés à l’automne 2023 dans Environmental Science & Technology.

La jeune chercheuse, qui étudiait à l’Université McGill au moment de cette recherche, a participé à plusieurs expéditions en mer pour recueillir des échantillons sur des animaux vivants.

On voit ici la chercheuse Anaïs Remili en train de photographier une orque. Photo: Chérine Baumgartner

Le bateau se positionnait à environ dix mètres de l’animal. Là, un membre de l’équipe tirait une fléchette vers la nageoire dorsale du cétacé pour collecter un tout petit morceau de graisse, une procédure sans douleur pour l’animal. « L’échantillon prélevé est minuscule : il fait à peine la taille de la dernière phalange de mon petit doigt », précise la chercheuse, qui photographiait chaque animal pour l’identifier par la forme unique de sa nageoire.

Un échantillon de gras. Photo: Anaïs Remili

Les analyses en laboratoire sur ces précieux échantillons ont d’abord permis d’en savoir plus sur le régime alimentaire des orques. Ainsi, près de la Norvège et de l’Islande, les orques se nourrissent principalement de poissons, alors que dans les eaux du Groenland et de l’Arctique canadien, elles chassent surtout des mammifères marins comme le phoque, le béluga, le narval et le rorqual. Or, les orques qui mangent des mammifères marins absorbent davantage de contaminants que celles qui se nourrissent de poisson.

Des contaminants omniprésents

Les molécules chimiques comme les BPC (les diphényles polychlorés), les pesticides et les retardateurs de flamme ont une affinité avec les graisses et tendent à s’y accumuler. Selon la chercheuse, ces substances ont des effets néfastes sur la santé des mammifères marins. « Les niveaux de BPC trouvés chez les orques près des côtes canadiennes dépassent les seuils établis pour d’autres mammifères marins, atteignant jusqu’à deux fois la concentration à partir de laquelle des effets néfastes sont observés », note Anaïs Remili. La chercheuse souligne que « les orques ne sont pas en train de mourir, mais ces niveaux élevés de contaminants augmentent les risques pour leur système immunitaire, endocrinien et reproducteur. »

L’héritage toxique des BPC

À une époque, les BPC étaient massivement utilisés à travers le monde, comme liquides isolants dans les transformateurs électriques. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, « entre 1 et 1,5 million de tonnes de BPC ont été produites dans le monde par une douzaine de pays depuis la fin des années 1920. » Ces molécules ont le fâcheux problème de persister très longtemps dans l’environnement et de se dégrader extrêmement lentement. Même si la production de BPC a cessé, certains équipements en fin de vie en contiennent encore et ils sont toujours présents dans l’écosystème marin. « Une fois rejetés dans l’environnement, les contaminants s’accumulent et s’amplifient tout au long de la chaîne alimentaire, du krill et du plancton aux poissons et aux plus gros animaux. L’animal qui mange un petit poisson, par exemple, absorbe et retient les contaminants présents dans ce petit poisson », illustre la chercheuse.

Anaïs Remili ajoute que « comme les orques ont une grande quantité de graisses et vivent longtemps, elles accumulent les contaminants tout au long de leur vie. Puisqu’elles sont au sommet de la chaîne alimentaire, elles se retrouvent avec énormément de polluants dans leur graisse ».

Comment protéger les orques?

Dans le Pacifique, des mesures ont été instaurées pour protéger la petite population d’orques résidentes du Sud, estimée à 75 individus. Par exemple, en protégeant le saumon (leur principale source de nourriture), en interdisant les activités de pêche et la navigation dans certaines zones fréquentées par les orques, en réduisant la vitesse des bateaux et en obligeant les navires à rester à plus de 200 mètres des orques. Même les drones ne peuvent s’en approcher. À Vancouver, une société de production a d’ailleurs écopé en 2021 d’une amende de 25 000 $ pour avoir fait voler un drone trop près de ces mammifères.

La population d’orques de l’Atlantique Nord ne bénéficie pas de telles mesures de protection. En partie parce qu’il est plus compliqué de les étudier, étant donné le faible nombre de stations de recherche dans l’est du Canada. Anaïs Remili plaide pour l’intensification des efforts de recherche visant à mieux comprendre les populations d’orques dans l’Atlantique, et pour la mise en place de plans de conservation de l’espèce.

Pendant une expédition en Islande, la chercheuse Anaïs Remili s’est retrouvée tout près d’un groupe d’orques. Un jeune orque, curieux, suivait le bateau de recherche. Photo: Anaïs Remili

Un groupe d’orques en Colombie-Britannique. Photo: Anaïs Remili

Feux de forêt et combustibles fossiles, un cocktail toxique

Une étude publiée en décembre 2023 dans Scientific Reports a démontré pour la première fois que les produits chimiques toxiques provenant de la fumée des feux de forêt et des déversements de pétrole sont détectés chez les orques. Ces produits chimiques, les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), ont été trouvés dans les muscles et le foie de six carcasses d’orques par une équipe de l’Université de la Colombie-Britannique.

Les orques sont parmi les animaux marins les plus contaminés du monde. Ce sont des espèces très importantes qui régulent les écosystèmes. Il faut les protéger.

Anaïs Remili, écotoxicologue et présentement étudiante postdoctorale à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique

Pourquoi certaines orques s’en prennent-elles aux bateaux?

Ces dernières années, plusieurs incidents entre des orques et de petits bateaux ont été signalés à travers le monde, laissant les biologistes perplexes. Parmi les hypothèses avancées? L’idée que les orques « utiliseraient les bateaux comme cibles d’entraînement pour la chasse ». Anaïs Remili croit plutôt que ce comportement est motivé par la curiosité de la part de jeunes orques.

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