Petit rorqual de l’Atlantique du Nord photographié à Tadoussac. Image: Cephas/Wikimedia Commons
Deux petits rorquals égarés nagent dans les eaux du fleuve, près de Montréal. Que sait-on d’eux? Québec Science s’est entretenu avec Évelyne Daigle, biologiste et éducatrice scientifique à la Biosphère. Elle a également écrit le livre Tant qu’il y aura des baleines… paru en 2000.
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Québec Science : Un premier rorqual a été observé près de l’île Sainte-Hélène le 8 mai dernier. Comment l’avez-vous appris?
Évelyne Daigle : La responsable des collections vivantes du Biodôme [rattaché à Espace pour la vie, comme la Biosphère] nous a avertis de sa présence. Le Biodôme fait partie du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins et collabore avec eux. Les bénévoles du réseau, qui ont des yeux un peu partout, l’ont trouvé au bout de l’île Sainte-Hélène, à dix mètres du bord.
Le lundi soir du 9 mai, après ma journée de travail à la Biosphère, je suis allée sur le pont du Cosmos, situé entre l’île Sainte-Hélène et l’île Notre-Dame. Le pont avait été fermé aux voitures tellement il y avait de curieux venus observer le petit rorqual, qui était tout juste en dessous du pont.
QS Un deuxième rorqual a été aperçu le 11 mai. Que sait-on jusqu’à présent sur les deux baleines?
ED Le premier est jeune. Il possède des points noirs vraiment visibles et foncés sur son dos qui est plus clair. Il semble en bonne santé et ne montre pas de marques d’hélices de bateau. Il n’est pas trop maigre non plus. Il a l’air en bon état et démontre un comportement tout à fait normal pour un petit rorqual.
Ce qui est impressionnant, c’est que chaque fois que je l’ai vu, il était exactement au même endroit, là où il y a un fort courant. Il y a deux ans, le même phénomène s’était produit pour la baleine à bosse égarée, qui était restée à la même place [en 2020, un rorqual à bosse s’était aventuré en région montréalaise également, un épisode qui s’est terminé par un décès].
Le deuxième serait aussi un immature. Les deux rorquals ne nagent pas ensemble. Contrairement aux bélugas, ce sont des animaux solitaires qui, une fois sevrés, ne vivent pas en groupe ou en famille.
On ignore si ce sont des mâles ou des femelles. Pour le savoir, il faudrait voir leur face ventrale, là où sont les fentes génitales. Dans le Saint-Laurent, beaucoup de femelles de cette espèce se sont échouées ces dernières années. Il est connu que les femelles viennent se nourrir dans le fleuve.
QS. L’égarement de baleines à cette hauteur du Saint-Laurent est-il un phénomène en hausse?
ED Il est difficile de tirer des conclusions à ce sujet. Ce sont des cas isolés pour l’instant. Le petit rorqual et le rorqual à bosse sont des espèces qui se portent bien. Ils ne sont pas du tout en danger. Leur population augmente et comme il y a plus d’individus, il y a plus de risque qu’une baleine arrive ici. Les jeunes peuvent explorer et s’égarer en suivant un banc de poissons. Justement, il y a un poisson de la même famille que le hareng qui remonte le Saint-Laurent jusqu’à la rivière des Prairies à cette période de l’année. C’est peut-être une bonne source de nourriture.
Par ailleurs, on a déjà eu un phoque à Laval [en 2020] et un béluga dans le Vieux-Port de Montréal [en 2012].
QS En tant que biologiste, est-ce que la présence de mammifères marins près de Montréal vous inquiète?
ED Non, ça ne m’inquiète pas. S’il y en avait 10, peut-être que oui. Ce qui est triste, c’est que les chances de survie ne sont pas très élevées pour les baleines en eau douce. Cette dernière n’est pas très bonne pour leur peau. Il y a deux ans, la baleine à bosse avait fini par avoir des algues sur son dos.
QS Est-il possible d’intervenir pour aider les deux petits rorquals?
ED Comme cela avait été fait il y a deux ans, on peut avertir les bateaux pour qu’ils ne s’aventurent pas trop près des baleines, qui sont très sensibles aux sons.
Autrement, c’est très difficile de les aider étant donné leur taille. Un béluga ou un phoque peut être transporté sur une civière dans l’eau ou dans un camion. Mais pas un rorqual. À la naissance, celui-ci mesure 2,5 m et pèse des centaines de kilos. Présentement, nos deux rorquals doivent faire au moins 4 m. La nature doit suivre son cours.
Mise à jour :
La carcasse d’un petit rorqual a été signalé le 26 mai dernier à Contrecoeur. La nécropsie « n’a pas révélé de cause significative de mortalité et aucun signe de traumatisme n’a été observé. L’absence d’aliment dans l’estomac indique que l’animal ne se serait pas alimenté récemment. » Il s’agirait du deuxième rorqual qui a été observé dans les eaux de Montréal.