Un caribou des bois. Photo: Wikimedia Commons
Comment le public perçoit-il le conflit entre la préservation du caribou et l’exploitation forestière? Des chercheurs québécois ont sondé la population sur cette question.
Le résultat est clair : 84,3% des personnes interrogées considèrent que la conservation du caribou forestier et du caribou montagnard, deux populations en déclin, est importante. La population s’attend à la mise en place d’actions pour rétablir les populations de caribous « même si le gouvernement doit investir des millions et que des emplois seront perdus dans le secteur forestier », lit-on dans l’analyse de Daniel Fortin et Jérôme Cimon-Morin, deux chercheurs de l’Université Laval, qui ont publié leurs résultats dans Science of the Total Environment en juillet dernier.
« J’anticipais un appui aux alentours de 50% en faveur de la conservation de l’espèce. Mais nous avons obtenu plus de 80% qui souhaitent rétablir les populations de caribous », s’exclame Jérôme Cimon-Morin, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval. « Les gens vont souvent soutenir la conservation des beaux et grands mammifères alors que les animaux esthétiquement moins beaux, comme les reptiles, reçoivent moins de soutien populaire », ajoute-t-il.
La protection du caribou et son incompatibilité avec l’exploitation forestière sont débattues sur la place publique depuis une quinzaine d’années. D’après Jérôme Cimon-Morin, bien que le débat soit dans l’air depuis longtemps, on ignorait l’opinion populaire à cet égard. C’est dans ce contexte que les deux chercheurs de l’Université Laval ont commandé un sondage à la firme Léger. Une dizaine de questions a été posée à 1000 citoyens et citoyennes du Québec sur deux scénarios examinés actuellement par le gouvernement provincial pour la gestion de l’habitat du caribou durant la période de 2023 à 2028.
Les deux scénarios proposés par le gouvernement
Le premier scénario entraîne une diminution du volume des coupes forestières de 2,5%, causant une perte de 841 emplois dans le secteur forestier, mais permettant de maintenir certaines populations de caribous (les caribous forestiers localisés à Val-d’Or, Charlevoix et Pipmuacan), mais pas toutes.
Le deuxième scénario propose une hausse (+0,3%) du volume des coupes forestières et évite la perte d’emploi, mais ne protégeant plus les populations de caribous forestiers qui vivent à Val-d’Or, Charlevoix et Pipmuacan.
Les chercheurs sur le caribou estiment toutefois que ces deux scénarios seront insuffisants pour rétablir les populations de cette espèce menacée.
Les deux scénarios n’ont reçu qu’un faible appui des citoyens et citoyennes sondées (35,5% pour le premier scénario, 10,2% pour le deuxième scénario). Pour la plupart (41,3%), les deux scénarios ne sont pas acceptables et le gouvernement devrait en faire plus pour sauvegarder l’espèce.
Dans le sondage, les chercheurs s’intéressaient aussi à en apprendre davantage sur les motivations à protéger le caribou. « On a eu une diversité de réponses. Par exemple, en protégeant le caribou, une espèce ombrelle, on protège également d’autres espèces. Les gens aiment le caribou, car il s’agit d’un animal connu par tous et le symbole de notre 25 cents », explique le professeur Cimon-Morin.
Les feux de forêt, une autre embûche pour les caribous
Les brasiers de 2023 ont détruit d’importantes portions de la forêt québécoise. Et avec elle disparaît également une partie de l’habitat du caribou.
« Les caribous dépendent de vieilles forêts qui ne sont pas perturbées [par l’activité humaine]. Si les feux les brûlent, c’est sûr que ça réduit l’habitat du caribou. Ça mine les chances de survie des populations », constate Jérôme Cimon-Morin.
Les populations de caribous et l’industrie forestière désirent toutes deux avoir accès à un territoire composé de forêts matures. Le chercheur de l’Université Laval explique que les feux de forêt pourraient forcer les caribous à se déplacer. Ce scénario se répète pour l’industrie forestière, qui doit relocaliser ses activités d’exploitation pour couper ailleurs. « Les feux viennent accentuer encore plus le conflit », souligne-t-il.
Le gouvernement québécois, qui devait rendre publique sa stratégie de protection du caribou au printemps dernier, devrait finalement la publier d’ici la fin de l’année pour tenir compte de l’effet des feux de forêt. C’est là que l’avenir du caribou sera plus clair.
Quelle est la distinction entre caribou forestier, montagnard et migrateur?
Les caribous qui vivent en Amérique du Nord appartiennent à la même espèce, soit Rangifer tarandus. Trois écotypes vivent au Québec soit le caribou migrateur, le caribou forestier et le caribou montagnard. Ces écotypes sont des populations distinctes appartenant à la même espèce. Ils se ressemblent beaucoup au niveau de la morphologie et de la couleur, mais ils se distinguent par leur aire de répartition et leur bagage génétique. Par exemple, le caribou migrateur est retrouvé tout au nord du Québec, le caribou forestier se trouve plus au sud et le caribou montagnard possède la plus petite répartition.