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L’opéra pourrait-il être un moteur de transformation sociale?
« Chanter, c’est dissiper les douleurs de la vie », a déclaré la cantatrice américaine Barbara Hendricks. Le musicologue Pierre Vachon, impliqué dans le volet action sociale et éducative de l’Opéra de Montréal, a commencé sa présentation au congrès de l’Acfas, qui avait lieu en mai dernier, avec ces mots inspirants. L’Opéra de Montréal s’est justement engagé dans plusieurs projets plaçant le chant au « chœur » des actions et faisant de cette discipline un outil important de transformation sociale.
Lutter contre l’exclusion des femmes trans
En mars 2023, l’Opéra de Montréal a lancé le projet La voix harmonisée pour aider les femmes trans à contrer l’exclusion sociale. Ce programme, développé par une chanteuse d’opéra et un orthophoniste spécialisé, vise à aider les femmes trans à harmoniser leur voix – souvent plus grave que celle des femmes cisgenres – à leur genre féminin. La voix, qui est un marqueur fort de l’identité de genre d’une personne, ne change pas lors de la prise d’hormones féminines, contrairement à la voix de femmes qui transitionnent vers une identité masculine, puisque la testostérone rend la voix plus grave.
Pour certaines personnes, la voix peut représenter un obstacle pour compléter la transition. « Lorsqu’un homme devient une femme, tout se transpose, sauf la voix. La personne a beau faire tout le cheminement psychologique et physique, l’exclusion sociale sera là dès le moindre appel téléphonique, car c’est encore une voix d’homme qui est entendue », raconte Pierre Vachon. Si les séances d’orthophonie peuvent aider les personnes en transition, l’opéra se révèle aussi une avenue intéressante à explorer pour moduler sa voix. En effet, les femmes trans qui participent à l’atelier apprennent différentes techniques de chant d’opéra, de respiration en profondeur et de vocalisation, y compris l’usage de la voix de fausset (la voix de « tête »), pour jouer avec leur voix et atteindre un registre aigu.
Chanter pour éviter le blues
Espace Transition est un autre projet, non relié à la transition de genre, présenté par Pierre Vachon au colloque de l’Acfas. Dans ce cas-ci, le programme s’adresse aux jeunes de 14 à 25 ans qui sont soignés au CHU Sainte-Justine pour des problèmes de santé mentale. Les participants et participantes ont accès à plusieurs ateliers artistiques : violoncelle, danse, visites au musée, cuisine et bien sûr, opéra. Les jeunes ont accès aux locaux de l’Opéra de Montréal où, pendant quinze semaines, ils apprendront à créer une œuvre collective pour l’opéra : rédaction de textes, apprentissage de la musique, mise en scène…
« On essaie d’améliorer le bien-être et l’adaptation des jeunes qui vivent avec des troubles mentaux et de diminuer leur stigmatisation. Autrement dit, on brise l’isolement et on fait en sorte de les stimuler pour qu’ils puissent mieux fonctionner en société », indique Pierre Vachon, qui fait équipe avec le CHU Sainte-Justine pour ce projet. Il ne s’agit pas d’un programme de musicothérapie visant à traiter les problèmes de schizophrénie ou de bipolarité, mais d’une opportunité de création artistique. L’équipe scientifique du CHU Sainte-Justine a noté une amélioration du bien-être et de la perception de soi chez ces jeunes. « Puisque l’atelier se déroule hors clinique, ils cessent de se percevoir comme des patients et se perçoivent comme des créateurs », confie M. Vachon, qui constate des petits miracles sur l’amélioration de la compétence sociale et relationnelle chez ces patients et patientes.
La musique apaise l’âme et le corps
Intégrer la musique dans son quotidien favorise le bonheur et la santé. C’est la science qui le dit! La musique offre de nombreux bienfaits pour la santé physique, mentale, émotionnelle et sociale. « Elle favorise l’expression créative et permet aux individus de transmettre leurs pensées, leurs émotions et leurs expériences uniques », affirme Anne Zumbansen, professeure à l’Université d’Ottawa et directrice adjointe de l’Institut de recherche en musique et santé.
« Les données actuelles montrent qu’intégrer diverses activités musicales dans le quotidien, que ce soit en assistant à des concerts, en jouant d’un instrument ou en participant à des programmes musicaux communautaires, peut contribuer à une vie plus saine et plus épanouissante », a ajouté la chercheuse, qui co-organisait ce colloque présenté au Congrès de l’Acfas, à Ottawa.
La musique et le cerveau
Certaines régions du cerveau sont dédiées à des tâches spécifiques. Par exemple, le contrôle de l’ouïe se situe dans le lobe temporal. Mais pour la pratique de la musique ou son écoute, plusieurs régions sont mobilisées dans la, explique Gilles Comeau, professeur et directeur de l’Institut de recherche en musique et santé de l’Université d’Ottawa. « Lorsqu’il y a des lésions cérébrales à la suite d’un accident ou d’une affection médicale, la personne ne perd généralement pas toutes ses compétences musicales, mais elle peut perdre une habileté très spécifique. Par exemple, elle peut continuer à chanter, mais en chantant toujours la même note sans s’en rendre compte. Ou encore, elle peut chanter juste, mais avoir perdu le sens du rythme », illustre le chercheur et co-organisateur du colloque. Le fait que le « centre » de la musique soit réparti dans différentes régions du cerveau aide à expliquer pourquoi les personnes atteintes d’alzheimer perdent la capacité de reconnaître les visages ou de communiquer bien avant la capacité de réagir à la musique. « Plusieurs savent aujourd’hui que c’est une des dernières choses à s’éteindre », constate Gilles Comeau.
Voyez cette ancienne danseuse de ballet atteinte de la maladie d’Alzheimer s’illuminer et en entendant Le lac des cygnes.