La paruline rayée peut voler sur de très longues distances lors de la migration. Photo: Sherri et Brock Fenton/Western University
La durée du vol des oiseaux migrateurs serait limitée par leurs réserves de protéines et non par leurs réserves de graisse, d’après une nouvelle étude.
Le printemps marque le retour de millions d’oiseaux migrateurs au Québec. Lors de ce long périple, les oiseaux dépensent une quantité importante d’énergie, qu’ils puisent majoritairement dans leurs réserves de graisse. Mais ils brûlent aussi des protéines.
Jusqu’ici, les scientifiques croyaient que les oiseaux ne recouraient à leur réserve de protéines qu’à la toute fin du voyage, question de conserver leurs muscles le plus longtemps possible. Mais une expérience menée par des biologistes de l’Université du Massachusetts démontre qu’une grande quantité de protéines est consommée dès le départ. Ces protéines contribuent à hauteur « de 4 à 7 % à l’énergie totale du vol » peut-on lire dans leur étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
Faire voler un oiseau en laboratoire
Pour en arriver à ce constat, les scientifiques ont fait voler dans une soufflerie deux espèces d’oiseaux chanteurs apparentées qui migrent deux fois par année. La première, la paruline rayée, est réputée pour parcourir de longues distances – jusqu’à 3 000 km sans escale en une centaine d’heures pour un seul voyage! La deuxième, la paruline à croupion jaune, réalise quant à elle de plus courtes distances d’une dizaine d’heures chacune.
À l’automne 2018, le groupe de biologistes a capturé 20 parulines rayées et 44 parulines à croupion jaune. Les oiseaux ont été placés dans des pièces où ils pouvaient voler librement et où l’humidité et la photopériode étaient contrôlées.
Les scientifiques ont également pesé chaque volatile. « Nous avons utilisé la résonance magnétique quantitative qui permet de mesurer rapidement et de manière non invasive la masse de l’oiseau avant et après le vol pour savoir exactement combien d’énergie il a dépensée », explique Cory Elowe, auteur principal de l’étude.
Après s’être acclimaté pendant deux semaines, l’oiseau est ensuite placé dans la soufflerie pour voler autant qu’il le souhaite durant la nuit, c’est-à-dire pendant de nombreuses heures. Chaque fois qu’un oiseau arrêtait son vol, Cory Elowe le notait. « Nous avions comme règle de sortir l’oiseau dès qu’il avait atterri trois fois en cinq minutes », indique-t-il.
L’oiseau se rendait-il compte qu’il n’allait nulle part? « Nous nous sommes souvent demandé si nous ne devions pas projeter un paysage en dessous de lui. Un de nos oiseaux a volé pendant 28 heures et il émettait des cris comme il le fait naturellement pendant la migration. Le cri en vol est noté à chaque fois. Pour cet oiseau en particulier, nous avons des pages et des pages de notes! »
Pendant la saison des migrations, le chercheur raconte que les oiseaux ont tendance à s’agiter et à vouloir s’envoler. « Dans les études que j’ai menées en captivité, on peut voir que lorsque les oiseaux sont prêts à migrer pendant la nuit, ils se tiennent tous sur un perchoir, pointent leur bec vers le haut et battent des ailes. Ils pensent qu’ils migrent et ils sont déterminés à voler. »
Les protéines comme carburant de départ
Les travaux réalisés précédemment ne permettaient pas d’observer une consommation importante de protéines, car les vols d’oiseaux n’excédaient pas 6 heures en laboratoire. Dans le cas de l’étude de Cory Elowe, l’équipe a effectué l’expérience dans des installations ontariennes expressément pourvues pour tester les longs vols d’oiseaux. « En faisant voler les oiseaux plus longtemps, au-delà de 10 heures, on a vu qu’ils brûlaient d’énormes quantités de protéines. Cela représente environ 2% de l’énergie consommée [au début de leur voyage] pour voler », souligne-t-il.
Autre fait intéressant, la perte de protéines est observable autant chez les oiseaux qui volent dans la soufflerie que ceux qui servent de contrôles et ce, dès les premières heures du jeûne. « Il s’agit peut-être d’un changement préparatoire. Les oiseaux s’attendent à entamer un vol migratoire », dit Cory Elowe.
Pour l’instant, le biologiste ignore pourquoi l’organisme des oiseaux privilégie une consommation protéinique au début de la migration. « Chez les mammifères, la dégradation des muscles se fait lorsqu’il n’y a plus d’autres sources de carburant. Les oiseaux doivent garder en état le plus possible leurs muscles pour voler et pourtant, ils ne le font pas. C’est une question à examiner dans le futur », répond le chercheur.
« J’ai la chance de travailler dans un domaine fascinant où l’on tente de comprendre comment ces oiseaux peuvent remodeler leur corps de manière aussi spectaculaire! », s’exclame Cory Elowe. « Tout le monde reconnaît le déclin des espèces d’oiseaux migrateurs. Je crois que ce type de science peut aider à construire la base de connaissances pour soutenir les efforts de conservation », conclut l’expert.