Image: Brigitte Werner/Pixabay
Des scientifiques revisitent une expérience célèbre sur l’attention visuelle pour en tirer de nouvelles conclusions.
La vidéo commence avec cette simple requête : comptez le nombre de fois où les joueurs habillés en blanc s’échangent le ballon de basketball. Si vous ne l’avez jamais vue, faites le test ici avant de poursuivre votre lecture :
Attentif au mouvement du ballon, vous n’aurez peut-être pas aperçu la personne déguisée en gorille qui s’est faufilée parmi les joueurs. Cette expérience, réalisée par des scientifiques de l’Université Harvard en 1999, démontre que l’humain possède une attention sélective. Lorsqu’on se concentre sur une tâche spécifique, on ignore souvent les autres éléments aux alentours. Cette expérience a été si marquante dans le domaine de la psychologie cognitive qu’elle se retrouve dans les manuels universitaires.
Des chercheurs en psychologie de l’Université de New York ont revisité cette expérience célèbre pour en tirer de nouvelles conclusions, publiées récemment dans PNAS. L’équipe a fait appel à des milliers de participants et participantes sur la plateforme Amazon Mechanical Turk, en ajustant la méthodologie. Premier défi? « Exclure ceux et celles qui avaient déjà vu l’expérience originale sur YouTube! » précise Pascal Wallisch, auteur principal de l’étude et psychologue spécialisé en neuroscience cognitive de l’attention visuelle.
Les scientifiques ont testé différents scénarios. Ils ont entre autres modifié la vitesse à laquelle le gorille traverse le groupe : tantôt lentement, tantôt vite. Ils ont ainsi remarqué que lorsque le gorille bouge rapidement, l’attention est vite portée sur cet élément inattendu. En revanche, lorsqu’il se déplace lentement, comme dans l’expérience originale, le cerveau n’y prête pas attention, concentré qu’il est à compter le nombre de passes.
Les quatre chercheurs de la NYU ne se sont pas arrêtés là. Dans une autre partie de l’expérience, ils ont demandé à leurs cobayes de compter le nombre de carrés qui traversaient une ligne dans une vidéo. Encore une fois, un objet inattendu (un triangle) apparaissait à un moment précis à l’écran. Est-ce que le triangle est passé inaperçu? Comme dans l’expérience avec le gorille, cela dépendait de la vitesse de déplacement du triangle.
Questionné par Québec Science sur les objectifs poursuivis par cette expérience, Pascal Wallisch indique avoir voulu la revisiter après avoir constaté que la variation de la vitesse de l’objet inattendu n’avait pas été testée. « En psychologie cognitive, il y a cette idée sur l’attention, qui n’a aucun sens selon moi, où l’on dit que les gens sont incapables de percevoir un changement, même s’il est devant eux et même s’ils savent qu’il est en train de se produire. L’objectif de notre recherche était de déterminer si cela était vrai », dit Pascal Wallisch.
D’après lui, les résultats sont très clairs sur ce point : « plus le mouvement est rapide, mieux il est perceptible. » Les auteurs soulignent qu’une partie du cerveau des primates est dédiée à la détection du mouvement. Dans la nature, le mouvement rapide peut provenir d’un prédateur, d’une proie ou d’un congénère.
« Lorsqu’on pense à la vision, on l’associe souvent à des couleurs ou des visages, par exemple. On ne pense pas nécessairement au mouvement. La plupart des animaux ne voient pas la couleur. S’ils aperçoivent quelque chose, c’est le mouvement qu’ils voient. Une grande partie de leur cerveau est ainsi consacrée à la perception du mouvement, qui est détecteur de forme de vie », explique Pascal Wallisch.
Bref, notre cerveau serait beaucoup plus compétent que ce que pouvait laisser croire l’expérience de 1999.
Des retombées dans différents domaines
Le chercheur Pascal Wallisch souligne que son étude pourrait avoir des implications dans divers domaines. Par exemple, les illusionnistes utilisent inconsciemment cette tactique de vitesse pour diriger l’attention du public vers une main plutôt que l’autre, qui est en train de faire une manipulation magique.
Dans le domaine aéronautique, le tableau de bord d’un avion est illuminé de toute part. En faisant bouger rapidement un élément, on pourrait capter l’attention des pilotes lors de manœuvres critiques.
À la suite de cette étude, le chercheur du NYU envisage d’explorer les mécanismes d’attention chez les personnes qui souffrent d’un TDAH. « Ce n’est qu’une hypothèse, mais les individus ayant un trouble du déficit de l’attention seraient peut-être plus facilement distraits par des mouvements lents que ceux qui n’ont pas de TDAH », suppose-t-il.