Je me souviens d’un ours noir, vedette d’un zoo aujourd’hui disparu. Il s’appelait Brutus. Cet ours est mort depuis longtemps, mais il a quand même vécu une longue vie au sein du petit parc d’attractions.
Les visiteurs ne pouvaient pas le manquer, sa cage se trouvait à l’entrée principale. C’était dans les années cinquante, à une époque où personne ne se posait de questions sur le bonheur, voire sur la santé des animaux sauvages enfermés. Il y avait à proximité de sa cage une machine à pinottes. Pour dix sous, on pouvait en obtenir une poignée. Bien assis derrière ses barreaux, Brutus observait le va-et-vient continuel des visiteurs autour de la machine distributrice. Lorsque quelqu’un remplissait son plat, il jouait de la patte et faisait tourner une plaque afin de faire entrer dans sa cage l’écuelle bien remplie. Devant son assiette pleine, l’ours donnait un spectacle de force, toujours le même. Pendant quelques secondes, il se levait sur ses pattes arrière, montrait ses muscles et grognait, au grand plaisir des familles. Brutus était assez intelligent pour savoir que cette pitrerie allait lui assurer une autre portion de pinottes.
Cette mise en scène était devenue la raison de vivre de l’ours. Contre son gré assurément, on lui avait enlevé sa liberté en échange de cette cage et de ce manège.