Les applications de rencontre influencent-elles nos relations amoureuses?

Le fameux swipe à droite ou à gauche transforme-t-il notre parcours amoureux? Tour d’horizon de l’univers des rencontres à l’ère du numérique.

Maude Lecompte, chargée de cours au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal et titulaire d’un doctorat en sexologie, le mentionne dès les premières pages de son livre Les applications de rencontre, publié aux Presse de l’Université du Québec : elle n’a pas rencontré l’homme de sa vie via une application. Mais elle les a elle-même testées.

Ces plateformes redéfinissent-elles nos relations ou ne sont-elles qu’un nouvel outil au service des mêmes dynamiques amoureuses? Si elles ont parfois mauvaise presse, Maude Lecompte souhaite corriger le tir en dressant un portrait nuancé de leur influence. Nous l’avons rencontrée pour en discuter.

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Québec Science Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à ce sujet?

Maude Lecompte Ma propre utilisation. Comme je l’explique dans le livre, on étudie rarement un sujet avec lequel on n’a aucun contact.

Ces plateformes nous montrent beaucoup de choses sur notre société. Malgré leur côté déshumanisant et leur aspect « catalogue », en même temps, leur popularité montre que les gens cherchent encore l’amour avec une seule personne à long terme, même si les possibilités de relations sont diversifiées.

Ces applications sont à la fois utiles et pleines de défauts, mais n’opèrent pas de changement fondamental sur nos structures sociales. Alors, pourquoi s’en méfier ou les démoniser?

 

QS Vous mentionnez dans votre livre qu’il existe plus de 1500 applications de rencontre. Est-ce que cela indique qu’elles ne fonctionnent pas si bien, ou au contraire, qu’elles répondent à un besoin?

ML C’est surtout le reflet de leur popularité. On critique souvent les applications de rencontre comme Tinder ou Bumble, mais leur succès démontre qu’elles comblent un besoin. Parallèlement, des applications nichées émergent pour contourner certains problèmes observés sur les applications populaires.

Il n’en demeure pas moins que les applications ont des avantages indéniables : rencontrer des gens depuis son salon, effectuer un premier tri, et éviter certains désagréments des rencontres en personne, comme le rejet. Tout ceci encourage l’utilisation des applications. Elles ont des limites, mais elles offrent aussi des avantages.

QS La technologie a-t-elle simplifié ou complexifié les rencontres?

ML Les deux. Pour les personnes plus introverties, par exemple, ces plateformes facilitent le premier contact.

Mais elles imposent aussi un environnement fonctionnant avec ses propres codes. Ne pas les comprendre peut mener à des expériences décevantes. Par exemple, une bonne description ultra intéressante et pleine d’esprit ne compensera pas une photo peu engageante publiée sur ces plateformes à l’environnement très visuel. Il faut en être conscient.

 

QS L’intelligence artificielle transforme-t-elle la dynamique des rencontres en ligne?

ML Effectivement, l’intelligence artificielle pourrait accentuer ce qu’on reproche déjà aux applications de rencontre. D’une part, des algorithmes sélectionnent les profils à présenter aux utilisateurs selon divers critères [NDRL influençant ainsi qui l’on rencontre]. D’autre part, certaines fonctionnalités génèrent des phrases accrocheuses ou des réponses suggérées pour entamer une discussion, rendant les interactions plus artificielles.

Cela dit, on observe une volonté de revenir à des rencontres plus personnalisées. De nouvelles applications émergent pour répondre à cette demande, mais si elles fonctionnent elles aussi avec des algorithmes. Le problème, c’est que les algorithmes sont souvent opaques, même pour leurs concepteurs. On ignore donc leurs impacts sur nos choix amoureux.

 

QS Ces algorithmes peuvent-ils exacerber certains biais ou inégalités?

ML Oui. Les algorithmes créés pour assortir les gens et créer des relations risquent fortement d’être influencés par les biais des concepteurs eux-mêmes. Cela peut mener à une forme de stratification sociale fondée sur des critères de beauté. Par exemple, les profils qui correspondent davantage aux standards de beauté se feront probablement proposer des profils qui sont aussi considérés comme tels.

Mais attention. Les applications de rencontre ne sont pas le problème. Elles reproduisent une réalité qui existe déjà dans la société.

 

QS Sommes-nous toujours à la recherche de romantisme dans nos relations?

ML Oui, et c’est ce que j’avais observé dans ma revue de littérature. Des études récentes, notamment de l’UQAM, se sont intéressées à l’intimité contemporaine et font ressortir que les gens attribuent une valeur importante au romantisme. La plupart des utilisateurs se disent modérément ou totalement romantiques.

 

QS Est-ce encore tabou d’admettre qu’on a rencontré son partenaire sur une application?

ML De moins en moins, car beaucoup de couples se forment sur les applications. Mais on ressent encore le besoin de préciser que la rencontre s’est faite en ligne, comme si c’était un environnement de rencontre inférieur à d’autres. Pourtant, les quelques études qui se sont attardées aux relations issues des applications de rencontre ont démontré que ces relations ne sont pas moins durables que celles formées autrement. Une fois que la relation sort de l’application, c’est du pareil au même.

 

QS Faut-il avoir une bonne carapace pour utiliser ces applications?

ML Un peu, oui. Il faut relativiser et faire preuve d’un certain détachement face au ghosting [NDLR lorsque l’autre personne cesse soudainement la communication sans explication]. Cela n’a souvent rien à voir avec nous : la personne a pu supprimer la conversation sans le vouloir, est occupée, a rencontré quelqu’un d’autre ou ne se sent plus disposée à rencontrer. Ce n’est pas nécessairement un rejet de votre personne. Ceux et celles qui abordent ces plateformes avec détachement et dans un mode exploratoire semblent en tirer une meilleure expérience.

 

QS Auriez-vous des conseils pour ceux et celles qui voudraient essayer les applications de rencontre?

ML Ne choisissez pas une application au hasard. Les gens ont tendance à choisir la plus connue, mais elle ne correspond pas nécessairement à vos intérêts. Tinder a un grand bassin de personnes sur l’application, mais cela n’engendre pas davantage d’interactions concluantes. Trouvez une application adaptée à vos attentes. [L’autrice mentionne les applications Peel pour le slow dating qui valorise la découverte de l’autre avant la rencontre, GoSeeYou pour les plus de 30 ans, Nolu et Dateability pour les personnes vivant avec un handicap, etc.]

 

QS Avez-vous découvert quelque chose qui vous a surprise en menant vos recherches?

ML Oui. Comme beaucoup, je m’attendais à trouver davantage d’aspects négatifs que positifs. Il y a certes des problèmes et des enjeux sur les applications de rencontres qu’on ne peut pas nier. Mais en creusant davantage, j’ai constaté que les applications sont souvent perçues plus négativement qu’elles ne le méritent.

Les relations amoureuses ne changent pas autant qu’on l’imaginerait. Les moyens de rencontre évoluent, mais les gens recherchent toujours la même chose.

 

QS Comme vous le mentionnez dans le livre, et comme le chantait Céline Dion, l’amour existe-t-il encore?

ML Oui, absolument. On entend parfois que l’amour, tel que vécu aujourd’hui, serait davantage une relation pratique que passionnelle. Mais cela ne correspond pas tout à fait à la réalité. Nos relations, libérées des contraintes sociales d’autrefois, sont peut-être plus passionnelles qu’elles ne l’ont jamais été.

Autrefois, on se mariait par obligation ou pour le patrimoine familial. Il est probable que l’amour n’était pas toujours au rendez-vous.

Oui, l’amour existe encore. Peut-être pas sous la même forme, mais il est toujours là.