Professeure agrégée de sociologie à l’Université de Montréal, spécialiste reconnue des enjeux socioéconomiques de l’innovation technologique médicale, Céline Lafontaine vient de publier un essai très documenté, brillant et dérangeant, sur la commercialisation effrénée du corps humain, Le corps-marché. La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie , aux Éditions du Seuil.
Le titre de votre essai renvoie au concept de «bioéconomie». Comment le définissez-vous?
C’est un modèle de développement promulgué par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) dans lequel les processus biologiques deviennent source de productivité. La bioéconomie touche donc l’ensemble des secteurs de l’activité sociale. On peut penser par exemple aux OGM qui sont censés accroître la productivité de l’agriculture industrielle. Mais je m’intéresse plus particulièrement à la bioéconomie du corps humain, construite sur la marchandisation du corps en pièces détachées: organes, tissus, cellules, ovules, etc. Une fois transformée dans les laboratoires, cette «matière première» acquiert une valeur économique. Aujourd’hui, presque tout le monde a un échantillon de son corps entreposé dans un laboratoire et devient ainsi l’objet d’expérimentations. En fait, le «corps-marché» constitue l’infrastructure économique de la «société post-mortelle» dans laquelle le maintien, le contrôle, l’amélioration et le prolongement de la vitalité corporelle sont devenus des valeurs centrales.
Vous portez un regard très critique sur certaines tendances de la bioéconomie concernant la lutte contre le vieillissement.