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06 novembre 2023
Temps de lecture : 4 minutes

Quand la désinformation se mêle du conflit entre Israël et le Hamas

Image: Egonetix_xyz/Pixabay

La guerre ne se déroule pas seulement sur les territoires d’Israël et de la Palestine. Elle envahit l’espace numérique à coup de fausses informations et de propagande.

Les médias sociaux sont inondés par les images du conflit entre Israël et le Hamas. Comment démêler le vrai du faux? Nous avons demandé à Simon Thibault, professeur agrégé au Département de science politique à l’Université de Montréal, de nous expliquer à quoi ressemblent la propagande et la désinformation dans ce conflit.

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Québec Science Quel genre de propagande émane du conflit israélo-palestinien?

Simon Thibault On reste avec de vieilles stratégies. Les propagandistes, peu importe leur camp, utilisent des tactiques similaires et cherchent à diaboliser l’adversaire. Ils le font en relayant des informations qui peuvent être vraies et documentées, mais aussi des informations fausses ou partiellement fausses.

Par exemple, du côté israélien, les propagandistes vont tenter de diaboliser l’ennemi en associant notamment le Hamas au groupe armé État islamique, appelé aussi Daech (ISIS en anglais), groupe terroriste qui s’est fait connaître pour ses atrocités et ses mises en scène propagandistes. Le gouvernement israélien cherche à susciter l’indignation par tous les procédés possibles en cadrant le Hamas comme une organisation qui est maintenant sanguinaire et prête à tout.

De l’autre côté, le Hamas et ses sympathisants vont vouloir diaboliser Israël en diffusant, par exemple, des images de civils et d’enfants tués par les bombardements de l’armée israélienne à Gaza.

Les deux camps vont aussi tenter de susciter la fierté ou de rallier les opinions à leur cause. Par exemple, du côté du Hamas, on va souvent montrer l’arsenal militaire – même si celui-ci est plutôt rudimentaire. On célèbre les actions militaires avec des vidéos, comme celle sur les préparatifs des attaques du 7 octobre ou les vidéos d’entraînement militaire. Du côté israélien, il y a une campagne active sur les réseaux sociaux menée par le gouvernement israélien, les différents ministères et instances qui relaient des messages célébrant la fierté israélienne des militaires, mettant en avant leur force et leur courage sur le terrain.

Pour récapituler, l’objectif des propagandistes est de susciter une gamme d’émotions, de la fierté à la haine, en passant par la peur.

Simon Thibault, professeur agrégé au Département de science politique à l’Université de Montréal. Photo: Myriam Lafrenière

QS Les deux camps disposent-ils de la même force de frappe en matière de propagande?

ST Le Hamas étant considéré comme une organisation terroriste par de nombreux pays, dont le Canada, il est plus ardu pour cette organisation de relayer sa propagande en raison de la modération et de la censure beaucoup plus actives sur plusieurs plateformes. Il est néanmoins parvenu à diffuser des messages, notamment sur X [anciennement Twitter], ce qui a mis la plateforme dans l’embarras. Le Hamas utilise aussi beaucoup Telegram, qui est reconnue pour sa modération plutôt laxiste.

Du côté israélien, il y a des efforts soutenus pour publier et relayer leurs messages. C’est beaucoup plus facile parce qu’ils n’ont pas à faire face aux mêmes obstacles que le Hamas. De nombreuses campagnes sont menées sur les médias sociaux. Une variété de visuels est utilisée, allant d’images d’assassinats de civils à des images plutôt ludiques. Je fais référence à une vidéo accompagnée d’une berceuse qui nous ramène à l’enfance. Mais le message qu’on y transmet est sans équivoque : Israël va tout faire pour défendre ses enfants.

Ces procédés ont été observés à travers l’histoire de la propagande : diaboliser l’ennemi, le déshumaniser, susciter la fierté, instaurer la peur chez l’ennemi, etc. Mais on le fait avec des techniques modernes qui permettent d’atteindre un vaste auditoire de façon immédiate grâce à Internet et aux réseaux sociaux.

QS Comment le public peut-il avoir l’heure juste sur le conflit, sans propagande ni désinformation?

ST Il faut être prudent et présumer que l’information consultée sur les réseaux sociaux peut être fausse. Il faut avoir ce réflexe critique et se demander : cette scène de combat sur YouTube Shorts est-elle réellement issue du conflit ou a-t-elle été filmée ailleurs, dans un tout autre contexte? On doit aussi se rappeler que des images et des informations diffusées par les médias dans l’urgence vont parfois se révéler erronées par la suite. Il y a beaucoup d’exemples à travers l’histoire illustrant comment le public a été berné, y compris dans le contexte où des médias reconnus pour leur rigueur ont contribué malgré eux à des campagnes de désinformation.

Je pense au cas récent de l’explosion à l’hôpital al-Ahli à Gaza. Des médias ont d’abord affirmé que l’explosion résultait d’une frappe israélienne. Or, l’origine du tir était débattue. Le Hamas et Israël se sont mutuellement accusés de cette tragédie. Dans le chaos de la guerre, où les propagandistes vont saisir chaque occasion pour marquer des points dans la bataille de l’information, il est primordial de se donner un temps de recul. Souvent, l’information véridique émergera après un certain temps, parfois on ne le saura pas du tout. On se rendra compte seulement des mois ou des années plus tard que le public a été berné.

Une mesure à prendre [en tant que citoyen critique] consiste à valider l’information en lisant différents médias, surtout si cette information est débattue et contestée, avant de partager cette information-là. Sinon, on favorise la mésinformation. La mésinformation survient lorsqu’un internaute, par exemple, relaie une information erronée sans le vouloir, parce qu’il pense qu’elle est vraie. Il faut s’informer auprès de médias qui ont fait leurs preuves, qui font beaucoup de vérifications et s’informer auprès de différentes sources fiables. Les internautes ont ce devoir d’être de plus en plus critiques parce que les propagandistes vont tout mettre en œuvre pour tenter de les convaincre… y compris les tromper.

D’autres réflexes qu’il est bon d’adopter sur les réseaux sociaux : lorsqu’on a un doute sur l’origine d’une image, on peut effectuer une recherche par image inversée avec Google Images pour connaître sa provenance. On peut aussi prêter attention à l’information sous nos yeux : l’image qui prétend représenter tel événement du conflit correspond-elle à la réalité? L’environnement ressemble-t-il à celui de la région en question? Un climat semi-aride est différent d’un milieu tempéré, par exemple.

QS Depuis les dernières années, les plateformes de médias sociaux comme Facebook et X (anciennement Twitter) ont considérablement réduit leurs effectifs dédiés à la vérification de faits et la lutte contre la désinformation. Pensez-vous que cela accroît la masse de fausses informations dans ce conflit?

ST Depuis l’acquisition de X par Elon Musk, la plateforme est vivement critiquée en raison de la dégradation de sa modération. Musk a pris des mesures, notamment en congédiant de nombreux employés, dont plusieurs assuraient une meilleure modération des contenus problématiques ou des fausses informations. Ces mesures ont clairement eu des impacts importants. Elon Musk est souvent perçu comme étant réticent à réglementer les contenus, partageant l’opinion de plusieurs autres acteurs politiques de droite selon laquelle cela limite la liberté d’expression.

Ce n’est pas la seule plateforme qui est critiquée. On l’a vu récemment avec la Commission européenne, qui a sommé les responsables de plateformes, dont X, Meta et TikTok, d’en faire davantage pour se conformer à son nouveau règlement, le Digital Services Act. Ce règlement assez musclé souhaite encadrer les entreprises numériques pour éviter que les utilisateurs soient exposés à des contenus illicites, faux et choquants visant notamment à désinformer. Il prévoit de lourdes sanctions financières pour les compagnies qui ne s’y conforment pas.

Le conflit entre Israël et le Hamas est une autre illustration de cette difficulté qu’ont les géants numériques à modérer leurs contenus, en particulier dans le cadre d’un conflit. Devant ce manque d’efficacité, certains diront de volonté, plusieurs exigent un encadrement plus serré de ces entreprises afin qu’elles rendent des comptes. Et dans cet effort de réglementation, l’Union européenne est à l’avant-scène.

QS Les deux camps peuvent-ils exploiter cette faille – le fait qu’il y ait moins de modération et de restrictions sur les réseaux sociaux – pour pousser leur message?

ST Oui, ils le peuvent, particulièrement lorsque vous êtes une organisation comme le Hamas qui a plus d’obstacles pour diffuser ses contenus en tentant de viser un plus large public. Quand je vous disais que X avait été utilisé pour publier des contenus propagandistes pro-Hamas, c’est un exemple montrant qu’il y avait une modération qui était inefficace. Cela dit, même quand il y a une volonté de limiter ces contenus, ça reste un immense défi technique et un véritable jeu du chat et de la souris.

QS Y a-t-il une plus grande quantité de fausses informations propulsées par l’intelligence artificielle dans le conflit entre Israël et le Hamas?

ST La réponse courte, c’est qu’apparemment, ce n’est pas le cas. Le recours à des contenus générés par l’intelligence artificielle, notamment les hyper trucages, ne serait pas aussi important qu’on pourrait le croire, selon des spécialistes qui ont été interviewés par une équipe d’enquête de Poynter. Ça m’a étonné parce que l’on sait que l’intelligence artificielle générative est de plus en plus employée et qu’elle permet de créer des voix, des images, des vidéos qui ont l’air véridiques. [Selon un article de Wired, il y a déjà tellement d’images réelles qui proviennent du conflit, que les vidéos truquées se retrouvent noyées dans la masse.]

Une technique de plus en plus utilisée par les propagandistes est celle des robots conversationnels qui relaient leurs récits sur les réseaux sociaux, interagissent avec les internautes et inondent les sections commentaires des sites web. Cela facilite la diffusion de rumeurs, de fausses informations et de récits propagandistes à grande échelle.

Il est possible que nous n’ayons une réponse que dans quelques mois, voire un an, à la lumière d’études empiriques qui permettront de savoir si de tels chatbots ont été utilisés, et dans quelle mesure.

 

* Les propos ont été revus et condensés pour plus de clarté.

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