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10 mars 2022
Temps de lecture : 2 minutes

La guerre en Ukraine met sur pause plusieurs projets scientifiques

L’université nationale de Kharkiv dans la ville de Kharkiv, en Ukraine. Le bâtiment abritant le département d’économie a été frappé par un tir de missile russe. Image: Konstantin Brizhnichenko/Wikimedia Commons

Quelles seront les répercussions de la guerre en Ukraine sur le milieu scientifique?

À l’ombre des bombes, des chercheurs ukrainiens se pressent de mettre leurs collections en sécurité et de transférer leurs données de recherche sur des serveurs internationaux. Le conflit jette aussi l’incertitude sur des missions scientifiques auxquelles participent des chercheurs russes comme le programme spatial ExoMars ou des expériences au Cern, à Genève.

Nous en avons discuté avec Yves Gingras, professeur et spécialiste de l’histoire des sciences à l’Université du Québec à Montréal.

***

Québec Science Des missions spatiales comme ExoMars (collaboration entre les agences spatiales européenne et russe) et des recherches au Cern sont suspendues à cause de la guerre en Ukraine. Croyez-vous que d’autres recherches scientifiques, dont la Russie est partenaire, seront aussi arrêtées?

Yves Gingras Dans le cas du programme spatial sur Mars, on ignore encore si le lancement aura lieu comme prévu en septembre. Du moins, ce n’est pas annulé, mais retardé. Cette mission est quand même en préparation depuis une vingtaine d’années. Le Centre national de la recherche scientifique [CNRS, en France] a également mis sur la glace plusieurs collaborations existantes.

Arrêter complètement la recherche serait une erreur de jugement qui pénaliserait doublement les scientifiques, à l’image de l’annulation du concert du jeune prodige russe qui devait jouer à l’Orchestre symphonique de Montréal. Même si certains seront en désaccord, il faut se souvenir que la science s’effectue sur le long terme et qu’elle doit être au-dessus de ces conflits. Les scientifiques ne sont pas tous des espions russes. Je suis en contact avec des collègues russes qui sont aussi démoralisés que nous. Ça peut sembler très facile et très simple de dire que l’on ne collabore plus avec les chercheurs russes, mais ça ne demande aucun courage. C’est sûr que cela aura un effet négatif sur des programmes scientifiques. Cela ne fait rien d’autre que du tort à des gens qui ne sont pas impliqués dans le conflit, jusqu’à preuve du contraire.

QS Quelles seront les autres conséquences de ces « sanctions » sur les scientifiques ukrainiens et russes?

YG En fouillant les bases de données, on compte moins de 2% de publications savantes dans lesquelles des chercheurs canadiens collaborent avec des chercheurs ukrainiens. L’Ukraine collabore beaucoup avec la Russie, en revanche. Pour les deux prochaines années, il faut s’attendre à un déclin du nombre de publications de la part des Russes. Et si le nombre total ne baisse pas, ce sont les collaborations qui vont sûrement diminuer.
Il y a d’ailleurs une pétition signée par 7 000 scientifiques russes, qui ont eu le courage de le faire et qui risquent la prison avec la nouvelle loi. [NDRL: Ces scientifiques russes condamnent l’invasion en Ukraine.]

Si l’on compare cette situation avec le conflit en Irak, cela a pris 20 ans avant que la recherche irakienne revienne au même niveau qu’avant la guerre. Dans le cas de l’Ukraine, cela pourrait prendre jusqu’à 10 ans.

QS Cela vous surprend-il que certaines universités et autres organisations scientifiques aient rapidement coupé les ponts avec la Russie? Pourtant, pendant la guerre froide, la Russie et les États-Unis continuaient de collaborer dans l’espace.

YG Oui, ça me surprend et ça me fâche. Je pense que c’est un comportement irrationnel. Il faut voir la situation dans un contexte plus large que celui de moralisation de la société où l’on réagit trop vite. Du côté des États-Unis, à l’époque de Donald Trump, un sondage montrait qu’il y avait aussi des scientifiques conservateurs et pas seulement des démocrates dans les universités.

Pendant la Guerre froide, la collaboration scientifique s’est poursuivie malgré tout. On avait compris à cette époque que même si ça ne va pas bien, on peut continuer de faire de la science ensemble parce que c’est un terrain neutre où il n’y a pas de politique. La science est universelle et il y aura toujours des coopérations internationales. Mais le monde d’aujourd’hui a changé. Depuis une dizaine d’années, notre société est beaucoup plus moralisatrice qu’auparavant.

Pour limiter les dégâts, les universités pourraient inviter les chercheurs ukrainiens de façon temporaire pendant un ou deux ans comme le fait le CNRS en attendant que les choses se calment. Cela leur permettrait de continuer leurs travaux et de rentrer ensuite pour reconstruire leur système de recherche scientifique.

* Les propos ont été revus et condensés pour plus de clarté.

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