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19 octobre 2023
Temps de lecture : 4 minutes

La honte d’être vierge

Illustration: Sophie Benmouyal

Au Québec, la virginité chez les jeunes adultes est de plus en plus fréquente. On la stigmatise néanmoins toujours autant.

Puceau! Pucelle! Si à la base, ces mots n’ont rien de péjoratif, ils se transforment en insulte à mesure que l’adolescence avance et que l’âge adulte approche. La virginité, lorsqu’elle se prolonge au cégep ou à l’université, devient pour plusieurs une tare à dissimuler, un fardeau dont on est rarement fier. Les personnes qui atteignent la vingtaine sans avoir eu d’expérience sexuelle sont de plus en plus nombreuses au Québec, mais cela ne semble pas suffire à normaliser la chose.

« C’est parce que la société attend de nous que nous ayons perdu notre virginité avant d’entrer dans la vingtaine, ou à peu près, explique Marie-Aude Boislard, professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). En psychologie, on parle de la théorie de l’horloge sociale: notre culture nous dicte à quel moment il est approprié de commencer son premier emploi, de faire des enfants, de prendre sa retraite… et de perdre sa virginité. » Gare à ceux et celles qui ne suivent pas cette horloge !

Dans une étude publiée en février 2022 dans la revue Emerging Adulthood, Marie-Aude Boislard et son équipe ont exploré les difficultés que rencontrent les jeunes adultes encore vierges. Arriver à la vingtaine en étant encore sexuellement inexpérimenté, par choix ou pas, comporte son lot de défis. « Nous avons réalisé une étude par entrevues auprès de 29 jeunes adultes hétérosexuels qui se déclaraient vierges, explique la chercheuse. Tous ont dit rencontrer des difficultés à cause de leur statut et nous avons pu classer ces difficultés en trois grandes catégories. » Il y a les effets émotionnels, notamment une grande tristesse, ainsi que les difficultés sociétales, par exemple, se faire accepter comme on est. Puis, il y a les défis interpersonnels, comme la difficulté à développer une relation intime.

Souffrir de solitude

Les participants et participantes ne se plaignaient pas tant d’être vierges que d’être seuls. « C’était la souffrance liée au manque d’intimité amoureuse qu’ils trouvaient plus difficile, autrement dit, la virginité amoureuse », explique Audrey Leroux, étudiante au doctorat en psychologie et cosignataire de l’étude. Le fait de ne pas avoir encore eu d’amoureux ou d’amoureuses fait plus mal que de ne pas avoir eu de relations sexuelles.

« Nos résultats montrent aussi que les adultes vierges sont confrontés à des difficultés qu’on retrouve chez d’autres minorités sexuelles, comme la stigma­tisation et la honte, poursuit Marie-Aude Boislard. Notre étude contribue à rendre ces individus visibles. Car, avec les personnes asexuelles ou aromantiques, ils sont souvent les grands oubliés des discours valorisant la diversité sexuelle. »

La chercheuse Yara Barrense-Dias nuance un peu le portrait. Son équipe du Centre universitaire de médecine générale et santé publique, en Suisse, a étudié des gens toujours vierges à 26 ans. « Il est vrai que certaines études ont démontré que les jeunes inexpérimentés sexuellement pourraient souffrir de stigma­tisation lorsque la virginité n’est pas choisie. Tout ça va de pair avec la comparaison avec les semblables, qui fait que le ou la jeune se sent hors norme. Et il peut y avoir des troubles de santé mentale. Néanmoins, nous parlons essentiellement d’association et non de causalité : il se peut que la santé mentale soit impactée par autre chose, par exemple, le fait d’habiter toujours chez ses parents à 26 ans ou d’être en sur­poids. Cela influe également sur les relations sociales et intimes, sans que nous puissions pour autant établir un lien de cause à effet. »

Nos résultats montrent que les adultes vierges sont confrontés à des difficultés qu’on retrouve chez d’autres minorités sexuelles, comme la stigmatisation et la honte.

Marie-Aude Boislard, professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal

Que la virginité soit la cause du mal-être ou pas, les sondages révèlent qu’au Québec 7 % des hommes et 4 % des femmes de plus de 25 ans étaient toujours vierges en 2017. Même chose en Suisse, où, la même année, 5 % des gens de cette tranche d’âge se déclaraient sexuellement inexpérimentés. Une frange importante de la population des jeunes adultes demeure donc invisible aux yeux des psychologues et des sexologues, en raison du peu de recherches effectué sur le sujet. Indice de l’abondance relative du phénomène : le recrutement pour l’étude des chercheuses de l’UQAM a été des plus faciles. « Et tout le monde était bien heureux d’avoir enfin une occasion de s’exprimer sur le sujet », a noté son autrice principale.

Même au cinéma

Mais si les jeunes adultes vierges sont aussi nombreux, leur situation n’est pas pour autant considérée comme « normale » par la société, qui continue de les stigmatiser, ce qu’avait déjà montré en 2017 une étude américaine.

Une réalité qui transparaît dans les œuvres cinématographiques et les séries télévisées, comme les scientifiques de l’UQAM l’ont démontré dans une autre étude. « Avec des chercheuses de l’École des médias et du Département des communications sociales et publiques, nous avons analysé 11 personnages vierges dans autant de séries et de films nord-américains populaires auprès de jeunes adultes, d’Anastasia dans le film 50 nuances de gris, à Sam de la série Atypique. Dans tous les cas, nous avons observé un double standard selon le sexe des personnages, et ce, à plusieurs niveaux. »

D’abord, l’inexpérience sexuelle des personnages masculins est toujours attribuée à des facteurs incontrôlables et externes, comme une maladie. La virginité n’est pas leur choix et est imposée par la société ou le « destin ». Les personnages féminins, eux, sont évalués et jugés socialement ; ils sont tenus responsables de leur inexpérience et doivent même la justifier.

« Ensuite, poursuit Marie-Aude Boislard, le désir et les compétences sexuelles sont présentés comme quel­­que chose d’intuitif chez les per­sonnages masculins, alors que la virgi­nité est plus montrée comme intentionnelle chez les personnages féminins. Et le genre teinte aussi les réactions de l’entourage : les personnages masculins vierges reçoivent plus de conseils, ce qui laisse penser que l’infamie de la virginité est plus marquée pour les hommes. Autre fait que nous avons noté : tous les personnages deviennent actifs sexuel­lement avant la fin du film ou de la série. » Retour à la norme, donc : il ne faut pas détraquer l’horloge sociale…

En plus de l’importance grandissante des jeunes adultes vierges, les recen­sements canadiens indiquent depuis une dizaine d’années que le nombre d’adultes célibataires est en hausse, et des études américaines montrent que la fréquence des activités sexuelles et le nombre de partenaires au début de l’âge adulte sont en baisse. Par conséquent, la représentation de l’inexpérience sexuelle chez les adultes dans les œuvres de fiction ressemble moins à un reflet de la réalité qu’à un cliché dépassé. Sans compter une autre invraisemblance sur les écrans : « Lors de nos études, précise Yara Barrense-Dias, nous avons trouvé plus d’hommes que de femmes chez les jeunes sexuellement inexpérimentés, alors que les fictions présentent surtout des femmes dans cette situation. »

Et si le cinéma contribuait à main­tenir la stigmatisation chez les vierges tardifs ? « C’est une de nos hypothèses, soutient Marie-Aude Boislard. La société évolue, mais sur ce chapitre, le cinéma ne suit pas, du moins pas assez vite. » Ces travaux éveilleront peut-être les cons­ciences des créatrices et créateurs du petit et du grand écran.

 

Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, qui finance les travaux de chercheuses et chercheurs d’ici, soutient financièrement Québec Science dans sa mission de couvrir des sujets liés aux sciences humaines. Le magazine conserve son indépendance dans le choix et le traitement des sujets.

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