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Délaissée à la fin de 2021, voilà que la surveillance du SRAS-CoV-2 dans les eaux usées au Québec redémarre. Survol du potentiel de cet outil de vigie pour la COVID-19 et autres maladies.
Le projet de recherche du CentrEau, le Centre québécois de recherche sur la gestion de l’eau, avait permis de suivre l’évolution des infections au SRAS-CoV-2 dans les eaux usées de quelques villes à travers le Québec en 2021. Cette méthode détecte le virus dans les selles des personnes malades, même chez celles qui sont asymptomatiques. Mais faute de financement, le projet avait pris fin en décembre 2021. On vous en parlait d’ailleurs dans cette chronique signée par Jean-François Cliche : SRAS-CoV-2 dans les eaux usées: l’occasion manquée.
La surveillance a cependant repris depuis quelques semaines. En effet, le 24 février dernier, le gouvernement québécois annonçait que l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) mettait en place un programme de vigie pour détecter le virus de la COVID-19 dans les eaux usées en collaborant avec les scientifiques du CentrEau. Les eaux des villes de Québec, Laval, Montréal et Gatineau sont visées par le programme de l’INSPQ. Selon un avis d’intention, le programme serait étendu à 16 municipalités d’ici le 15 août. Les premiers échantillons d’eaux usées ont été collectés fin mars, selon Aurèle Iberto-Mazzali, porte-parole de l’INSPQ. Ceux-ci ont ensuite été acheminés pour analyse au laboratoire du CentrEau, à l’Université McGill.
Pour l’instant, les données ne sont pas encore disponibles sur le site web de l’INPSQ, mais Peter Vanrolleghem, chercheur en génie des eaux de l’Université Laval et directeur du CentrEau, est sûr que le suivi sera diffusé en ligne d’ici l’automne, une période de l’année où une hausse des infections est attendue. Cette technique sert à pallier le manque de données quant à la COVID-19 puisqu’il est de plus en plus difficile de connaître le véritable taux d’infection, la majorité des tests de dépistage étant désormais réalisée à la maison.
Le portrait des derniers mois deviendra plus clair, car les données sont analysées à partir du commencement de l’échantillonnage, soit depuis la mi-mars. « Mais c’est important de le faire correctement. » D’où le délai entre le début de l’échantillonnage et la publication des résultats. De plus, « s’il y a un nouveau variant contagieux quelque part, on sera capable de détecter son arrivée par les eaux usées », affirme-t-il.
Les forces et les faiblesses
Pour Peter Vanrolleghem, il est clair que la pandémie a mis en lumière tout le potentiel des eaux usées pour suivre la COVID-19. « C’est devenu une source d’informations importante pour la gestion de la pandémie. L’année dernière, l’Europe a instauré une directive qui impose aux pays membres de l’Union européenne d’implanter un système d’épidémiologie par les eaux usées », indique le chercheur du CentrEau.
Des réseaux de surveillance des eaux usées s’organisent aussi aux États-Unis. Les Centers for Disease Control and Prevention possèdent une vigie comprenant une centaine de sites à travers le pays, couvrant une population d’au moins 100 millions d’Américains. Des villes comme Houston surveillent le SRAS-CoV-2 et ses variants et en profitent également pour afficher sur leurs tableaux de bord des données sur l’influenza A et B et ses tendances d’infection par quartier. Les eaux usées ont donc le potentiel de refléter la santé générale d’une population urbaine.
Car les eaux usées ne mentent pas. Tout ce que l’on consomme prend un jour ou l’autre le chemin des toilettes. Ces eaux reflètent les habitudes de consommation de la population : drogues, alcool, antibiotiques, médicaments, etc. Leur analyse a démontré au fil des ans qu’elles sont également un outil intéressant en épidémiologie pour détecter la présence de certaines maladies comme la poliomyélite et, plus récemment, la COVID-19.
Peter Vanrolleghem indique d’ailleurs que cette méthode de vigie est peu coûteuse. « Ça ne coûte vraiment rien. Une ville peut obtenir un suivi du SRAS-CoV-2 pour 500$ par jour. »
Par contre, la détection du SRAS-CoV-2 par les eaux usées n’établit pas un diagnostic individuel, mais s’applique à l’ensemble d’une population. On peut aussi l’utiliser pour se pencher sur un milieu de vie précis. « En détectant le virus dans les eaux usées d’un CHSLD, on peut ensuite tester les résidents et les isoler pour protéger les autres qui n’ont pas été infectés », donne en exemple Peter Vanrolleghem. Un tel suivi a été réalisé aux résidences de l’Université McGill.
Comme l’expliquait la docteure Caroline Huot, spécialiste en santé publique et médecine préventive à l’INSPQ lors d’une présentation au congrès de l’Acfas, « les données obtenues grâce aux eaux usées, combinées avec les données sur les cas cliniques, permettent de voir les tendances du virus et de ses variants et de déterminer s’il y a émergence ou réapparition du virus dans une population. » Cette détection précoce de la maladie, avant même que le virus ne cause d’hospitalisations, pourrait influencer les décisions de la santé publique. Cependant, il semble plus difficile de déceler des baisses d’infections avec cet outil.
Étant donné le fait que l’analyse des eaux usées pour suivre le SRAS-CoV-2 soit récente, certaines étapes ne sont pas encore standardisées. De plus, les résultats obtenus dans une ville ne peuvent être comparés à d’autres puisque les réseaux d’égouts sont différents, tout comme le profil des populations.
Dans tous les cas, Peter Vanrolleghem souhaite qu’un jour on puisse utiliser la « météo des eaux usées », c’est-à-dire utiliser les données du programme et des modèles mathématiques pour prédire les prochains fléaux : une nouvelle souche de grippe, une nouvelle drogue, une crise de santé mentale en raison du stress exacerbé à la suite au passage d’une tornade. On serait alors à même d’y répondre rapidement. L’avenir semble donc prometteur.