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La 29e Conférence sur les changements climatiques s’est conclue sur un sentiment de frustration, en particulier pour les pays du Sud, raconte Andréanne Brazeau.

Andréanne Brazeau, analyste principale des politiques à la Fondation David Suzuki.
Finance climatique, transition énergétique : les 197 pays réunis en novembre pour deux semaines de négociations à Bakou, en Azerbaïdjan, n’ont réalisé que de maigres avancées, déplore Andréanne Brazeau, analyste principale des politiques à la Fondation David Suzuki, qui assistait à l’événement pour la sixième fois.
Celle qui est aussi chargée de cours en négociations climatiques internationales à l’Université de Sherbrooke entrevoit des défis majeurs pour la COP 30, qui aura lieu l’an prochain au Brésil.
Québec Science Quel bilan tirez-vous de cette COP29, qui a eu lieu à Bakou en Azerbaïdjan?
Andréanne Brazeau La COP 29 a été particulièrement décevante pour plusieurs raisons. Cette année, la conférence devait accoucher d’un accord sur la manière de financer l’adaptation aux changements climatiques. Bien qu’il y ait eu un accord, il est loin de répondre aux attentes des pays du Sud. Le groupe africain avait demandé un financement de 1 300 milliards par an pour s’adapter aux effets dévastateurs du changement climatique. On mentionne cette somme, mais seulement à partir de 2035, ce qui est vraiment beaucoup trop tard.
« L’entente » actuelle prévoit une somme de seulement 300 milliards par an, un montant bien en deçà des besoins réels. En tenant compte de l’inflation, les 300 milliards n’offrent qu’une légère hausse par rapport à l’engagement de 100 milliards par année [pris en 2009 à Copenhague]. C’est vraiment une claque au visage pour les pays en développement, qui ont exprimé leur frustration, certains parlant même de trahison. Le Nigéria a qualifié l’entente de « blague ».
QS À quoi doivent servir ces fonds?
AB Les pays du Sud ont besoin de fonds substantiels non seulement pour s’adapter aux effets de la crise climatique, mais aussi pour compenser les pertes irréversibles qu’ils subissent déjà. Les petits États insulaires sont en train de disparaître sous les eaux avec la hausse du niveau des mers. D’autres subissent des catastrophes majeures : les inondations de 2022 au Pakistan ont coûté 44 milliards de dollars.
QS Un autre point d’échec concerne l’absence de progrès sur la sortie des énergies fossiles.
AB Oui. L’an dernier, à la COP 28, les pays avaient réussi une avancée historique en intégrant dans le texte final un engagement à transiter hors des énergies fossiles. Cette année, on aurait dû partir de cet engagement pour aller plus loin. En théorie, chaque COP devrait s’appuyer sur les acquis précédents, avec des cibles plus ambitieuses. Mais cela reste difficile à réaliser avec 197 pays. Il faut mettre la transition hors des énergies fossiles dans un texte [ce qui a été fait l’an dernier] et le minimum est de répéter ce même engagement dans les textes finaux. C’est encore mieux si l’on arrive à dire comment on le réalise, l’échéance et qu’on arrive à le détailler. De cette façon, on construit le consensus sur ces questions dans le temps et l’on réaffirme cette volonté de faire la transition hors des énergies fossiles. Or, cette ambition a carrément été bloquée par l’Arabie Saoudite, qui représente le groupe arabe.
Enfin, la suite du bilan mondial a tout simplement été reporté selon la règle 16, utilisée lorsqu’il n’y a pas de consensus.
QS Plusieurs craignaient que tenir la COP dans un pays grand producteur de pétrole [l’Azerbaidjan est un important producteur et exportateur de gaz et de pétrole] nuise aux négociations? Ce fut le cas?
AB Oui. La présidence de la COP doit agir comme facilitateur. Mais l’Azerbaidjan n’a pas réussi à coordonner et à animer les discussions de manière à progresser. Par exemple, les négociations financières n’ont vraiment démarré qu’à la toute fin de la deuxième semaine. Comment trouver une entente à deux jours de la fin de la COP?
Beaucoup de groupes de travail ont stagné en attendant des progrès sur la question de la finance, ce qui a paralysé l’ensemble du processus.
Cela pose problème parce que cette COP devait en être une de transition entre deux cycles sous l’Accord de Paris [signé en 2015] et les prochaines étapes. L’année dernière, la COP s’était conclue avec le bilan mondial où les pays établissaient les progrès entourant l’atteinte de l’Accord de Paris, soit de limiter le réchauffement climatique sous la barre de 1,5 °C et la marche à suivre pour la suite. Au cours de l’année 2025, les pays doivent annoncer de nouvelles cibles pour 2035 tel que le prescrit l’Accord de Paris. Or, sans soutien financier adéquat, les pays en développement auront beaucoup plus de difficulté à présenter une contribution avec une ambition rehaussée. C’est pour cette raison que la question de la somme négociée cette année est si problématique.
Si on ne garantit pas un montant intéressant et suffisant pour les pays en développement, ils ne seront tout simplement pas en mesure d’arriver avec un plan et une cible rehaussée en accord avec la science l’an prochain. Ça met vraiment à risque l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris, qui mise sur une contribution de chaque pays en fonction du «principe de responsabilité commune mais différenciée», soit une responsabilité qui varie en fonction des émissions historiques et actuelles des États ainsi qu’en fonction de leur capacité financière.
Le Royaume-Uni s’est particulièrement démarqué en prenant les devants, comblant le vide politique laissé par les États-Unis. Il s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 81 % [comparativement à ses émissions de 1990] d'ici 2035.
QS Y a-t-il eu certaines avancées?
AB Il y a eu deux bonnes nouvelles. D’une part, il y a un nouveau cycle ambitieux à venir. D’ici février 2025, les pays doivent déposer leurs nouvelles contributions déterminées au niveau national [ce terme technique désigne les efforts déployés par chaque pays pour réduire ses émissions nationales et s’adapter aux effets du changement climatique].
Le Royaume-Uni s’est particulièrement démarqué en prenant les devants, comblant le vide politique laissé par les États-Unis. Il s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 81 % [comparativement à ses émissions de 1990] d’ici 2035. Cette cible est en accord avec les recommandations scientifiques pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C et reflète la responsabilité historique du Royaume-Uni et sa capacité financière. Il devient le premier pays du G7 à dévoiler une telle cible, mettant une pression sur les autres pays, comme le Canada, qui vont devoir faire la même chose dans les prochaines semaines, eux qui portent une responsabilité historique dans la crise climatique.
L’autre bonne nouvelle à souligner concerne l’action des États infranationaux. Le contexte des élections américaines [le président élu, Donald Trump, a annoncé son intention de se retirer de l’Accord de Paris] semble avoir suscité un mouvement d’ambition chez les États infranationaux. À Bakou, le Québec a annoncé qu’il allait bannir le gaz fossile de tous les bâtiments, tant existants que nouveaux, d’ici 2040. Le Québec est coprésident de la Beyond Oil and Gas Alliance, une alliance internationale réunissant des États infranationaux et nationaux qui prennent des mesures politiques concrètes pour éliminer progressivement les énergies fossiles. La province a déjà interdit l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur son territoire. Donc après avoir agi sur l’approvisionnement, il fallait aussi s’attaquer à la consommation, puisque même si le Québec produit peu d’énergies fossiles, sa consommation reste élevée.
QS Quel rôle a joué le Canada lors de cette COP?
AB Le Canada n’a pas fait figure de leader. Contrairement à d’autres années, le Canada a peu communiqué avec la société civile sur place. Il semble avoir laissé la place aux joueurs comme l’Arabie Saoudite, qui freine les ambitions collectives aux différentes tables de discussion. On sentait que cela faisait l’affaire du Canada de ne pas rehausser l’ambition.
QS Les pays n’ont pas réussi à s’entendre sur le cadre financier pendant cette COP. Cela a-t-il exacerbé la division entre les pays du Nord et du Sud?
AB Oui. On constate clairement que les pays du Nord maintiennent leur position de pouvoir de différentes manières. Cela se reflète dans la formulation floue du texte sur l’objectif financier. Les incertitudes demeurent par rapport aux sources de financement : d’où proviendront-elles? Du secteur privé ou public? S’agit-il de prêts ou de subventions?
Cela ne fait qu’empirer le manque de confiance des pays du Sud, déjà lourdement endettés, envers les pays du Nord. Leur imposer davantage de prêts ne ferait qu’aggraver l’ensemble du fonctionnement des négociations climatiques internationales. Si le départ éventuel du plus grand émetteur au monde, les États-Unis, se concrétise, toute cette approche multilatérale est en danger.
QS Qu’est-ce qui a permis d’atteindre un consensus à la toute fin, malgré l’opposition de l’Inde?
AB Le consensus ne signifie pas l’unanimité. C’est ce qui s’est produit. Le coup de marteau final a été donné alors que plusieurs délégations avaient levé leurs cartons pour exprimer leur désaccord. La présidence a précipité cette décision sans avoir entendu les interventions de l’Inde, de la Bolivie, du Nigeria, entre autres. En imposant cet accord, elle a littéralement forcé la main de ces pays.
Cette situation met en lumière les inégalités dans la prise en compte des voix. Par exemple, lorsque la Russie s’oppose à une proposition, comme le choix de la Pologne ou de la Bulgarie pour accueillir une future COP, son avis est pris en considération. Pourtant, lorsque l’Inde ou la Bolivie expriment un refus catégorique concernant les enjeux financiers, ces objections sont ignorées. Cette gestion inéquitable du consensus montre à quel point la présidence dispose d’un réel pouvoir.
QS Cela met drôlement la table pour l’an prochain, alors que la COP aura lieu au Brésil…
AB Absolument. Nous aurions dû aller beaucoup plus loin dans les textes. Cela met beaucoup de travail sur les épaules de la présidence brésilienne, car beaucoup de textes qui auraient dû être finalisés ont été reportés à plus tard. Ce retard crée une pression importante pour la session de négociation pré-COP 30, qui se tiendra en juin 2025.
Dans cette COP, nous devions nous entendre sur les directives et orientations pour les cibles et les plans des pays d’ici 2035, mais ce texte a été reporté à plus tard. Résultat : les pays doivent soumettre leurs engagements d’ici février sans directives claires. Ce manque de structure crée un désordre dans le processus.
QS Serez-vous présente à la COP 30 au Brésil?
AB Oui, car nous entamons un nouveau cycle, ce sera important d’être là. Comme organisation environnementale, nous avons un statut d’observateur qui nous permet d’être présent dans les salles de négociation pour écouter, mais aussi pour parler directement avec les négociateurs et négociatrices. Nous avons également la possibilité de soumettre des textes. Par exemple, mon organisation peut soumettre des textes à la délégation canadienne ou à la présidence via le réseau des organisations environnementales. Il est donc important d’occuper cet espace.
Cela vaut aussi pour d’autres groupes comme les organisations jeunesse, les agriculteurs et agricultrices, les groupes de femmes et les communautés autochtones qui peuvent et doivent faire entendre leur voix. À la Fondation David Suzuki, nous considérons qu’une COP ne peut être qualifiée de succès si les pays du Sud ne le jugent pas comme tel. Nous nous rallions à leur position dans le cadre de cette dynamique d’injustice climatique.
L’autre raison d’être présents, c’est que l’industrie fossile est très présente à la COP. Elle pousse et défend ses intérêts en ralentissant les négociations. C’est donc important d’être là pour faire contrepoids.