Au Québec, l’herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia) est la plante la plus problématique en santé publique. Son pollen cause des allergies saisonnières à des milliers de personnes chaque été. Image: Pixabay/Katja_Kolumna
« C’est la plante la plus nuisible au monde ». Entrevue avec le biologiste Claude Lavoie, auteur de Herbe à poux, 100 ans de guerre contre le rhume des foins.
Pourquoi l’herbe à poux est-elle si envahissante? Pourquoi provoque-t-elle autant de réactions? Et surtout, pourquoi est-ce si difficile de s’en débarrasser? Claude Lavoie, biologiste et spécialiste reconnu des plantes envahissantes, nous aide à mieux comprendre cette plante mal-aimée, mais fascinante, dans son livre Herbe à poux, 100 ans de guerre contre le rhume des foins publié récemment aux Éditions MultiMondes.
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Québec Science : Pourquoi avoir choisi de consacrer un livre au sujet de l’herbe à poux?
Claude Lavoie : C’est l’une des plantes les plus nuisibles au monde, affectant environ 120 millions de personnes. Avant les années 1950, les allergies causées par l’herbe à poux représentaient un problème majeur de santé publique en Amérique du Nord. Imaginez, on a compté une dizaine de personnes tellement désespérées de leurs symptômes causés par le rhume des foins qu’elles se sont suicidées. Cela démontre le désespoir des personnes touchées.
L’arrivée des antihistaminiques a relégué ce fléau au second plan. Ces médicaments soulagent les symptômes sans régler le problème. On se contente de dire aux gens de prendre des pilules, alors qu’il serait possible d’agir autrement.
Pendant ce temps, la plante continue de faire des ravages sur la santé humaine et en agriculture. Et ces ravages ne font qu’augmenter avec les changements climatiques.

Claude Lavoie, biologiste et auteur du livre Herbe à poux, 100 ans de guerre contre le rhume des foins
QS Dans votre livre, vous racontez qu’à une certaine époque, des hôtels faisaient la promotion de séjours « sans rhume des foins ». C’est étonnant!
CL Oui. Vers la fin du 19e siècle, au Québec, des établissements comme l’Hôtel Tadoussac et le Manoir Richelieu, dans Charlevoix, se présentaient comme des refuges pour les personnes allergiques. On trouvait de nombreuses publicités dans les journaux : « No hay fever », « Pas de rhume des foins ».
À l’époque, on comprenait mal les allergies. On proposait même la cocaïne comme traitement! Le seul moyen d’atténuer les symptômes, c’était de fuir dans ces endroits.
C’est dans ce contexte que le botaniste québécois Elzéar Campagna a lancé sa campagne d’éradication de l’herbe à poux en Gaspésie [NDLR dans les années 1930] pour que la péninsule reste un refuge touristique majeur dans le Nord-est américain.
QS La Gaspésie est-elle encore un refuge pour les personnes allergiques?
CL Pour l’instant, oui. Il y a bien quelques plants ici et là, mais rien de significatif. Rien n’empêcherait toutefois l’herbe à poux de se réinstaller dans la région, surtout près de la Baie-des-Chaleurs, où elle a déjà été présente.
Par contre, c’est une autre histoire dans le Bas-Saint-Laurent. Campagna avait réussi à repousser l’herbe à poux jusqu’à Rivière-du-Loup. Aujourd’hui, elle est omniprésente le long de la route 132 entre Rivière-du-Loup et Rimouski et elle s’avance vers Mont-Joli, aux portes de la Gaspésie. Les autorités de santé publique prennent la chose au sérieux.
L’été dernier, une quantité phénoménale de champs de soya a été semée près de la 132. Et là où le soya s’installe, l’herbe à poux suit. On risque donc de voir la plante s’implanter dans les champs de soya. Les producteurs agricoles, qui ne sont pas au courant de ce problème, vont se retrouver aux prises avec l’herbe à poux et vont utiliser des herbicides pour la contrôler. Résultat : on aura deux problèmes de santé publique au lieu d’un. L’herbe à poux d’un côté, et les herbicides de l’autre. Et sans succès garanti, car l’herbe à poux résiste aux herbicides!
QS Quelle est la région la plus touchée par l’herbe à poux au Québec?
CL Il s’agit clairement de la Montérégie. L’herbe à poux y a toujours été présente. Le climat plus chaud favorise sa croissance.
Dans les années 1980, on ne voyait pratiquement pas de soya. Depuis les années 1990, cette culture a explosé. Contrairement au maïs, qui est plus vigoureux et qui peut compétitionner si on le sème assez tôt, le soya ne fait pas le poids. Cela contribue à l’expansion de l’herbe à poux, en plus du réseau routier, qui facilite la dispersion, et le réchauffement climatique. Cela crée un cocktail idéal pour que l’herbe à poux explose, à la fois en densité et en superficie.
En Amérique du Nord, l’herbe à poux occupe maintenant à peu près toute l’aire qui lui est favorable. La progression est aussi prononcée en Europe et en Chine.
QS Pourquoi l’herbe à poux se trouve-t-elle souvent près des routes et des voies ferrées?
CL Les bords de route sont un écosystème parfait pour l’herbe à poux. Les gens pensent parfois que l’herbe à poux aime les sols pauvres. Comme toutes les plantes, elle préfère les sols riches, mais elle a la capacité de survivre dans des milieux pauvres, pollués et perturbés. Et surtout, ses semences n’aiment pas être enfouies profondément. Or, sur le bord des routes, le sol est constamment remué, notamment par les chasse-neiges en hiver. Résultat : ses graines restent en surface et peuvent germer facilement.
QS Vous soulignez que les changements climatiques favorisent la dispersion de l’herbe à poux. Comment?
CL L’herbe à poux est très sensible au gel. C’est ce qui freine sa progression vers le nord. Mais aujourd’hui, les gels d’automne sont plus tardifs, ce qui donne à l’herbe à poux davantage de temps pour produire ses semences. Une fois celles-ci formées, le gel peut bien survenir : les graines y résistent et passent l’hiver sans problème. À Québec, par exemple, le premier gel survenait jadis autour du 7 octobre. Maintenant, c’est plutôt vers le 7 novembre. Un mois de plus pour produire du pollen et des graines!
Inversement, les printemps plus hâtifs permettent une germination plus précoce.
QS L’herbe à poux a-t-elle un rôle écologique?
CL C’est une des premières plantes à coloniser un sol nu ou perturbé. Par exemple, aux îles de Boucherville, un champ a été labouré et laissé à l’abandon. L’année suivante, l’herbe à poux a envahi tout le terrain. Pendant quelques années, la plante s’installe, stabilise la surface du sol, accumule un peu de matière organique, améliore la rétention d’eau, etc. Comme elle ne tolère pas l’ombre, elle disparaît dès que d’autres plantes plus compétitives s’installent.
L’herbe à poux a donc un rôle écologique dans ce contexte bien précis. Mais ce rôle pourrait être rempli par d’autres plantes pionnières, moins problématiques pour la santé publique.
QS Le pollen de l’herbe à poux est très allergène. Jusqu’à quel point?
CL C’est difficile à quantifier précisément, et je ne suis même pas certain qu’il existe une étude qui permet de comparer les plantes entre elles en fonction du nombre exact de grains de pollen nécessaires pour provoquer une réaction. Ce qu’on sait, c’est que l’herbe à poux est de loin la plante la plus allergène qu’on retrouve ici.
Au printemps, certaines personnes qui souffrent d’allergies, qu’on appelle le rhume des foins, blâment les pissenlits alors qu’ils ne sont pas allergènes du tout. Il y a bien certains pollens d’arbres ou encore de certaines graminées, qui peuvent provoquer des réactions, mais ce n’est rien comparativement à l’herbe à poux. Un seul plant d’herbe à poux peut produire des milliards de grains de pollen. Et ce pollen-là est hyper efficace pour déclencher des réactions allergiques. À ma connaissance, aucune autre plante n’égale l’herbe à poux en quantité de pollen produite et en pouvoir allergène.
QS Comment peut-on contrer la propagation de l’herbe à poux?
CL Un bon début serait d’améliorer la gestion des bords de route, mais ce n’est pas une solution miracle et c’est extrêmement complexe à mettre en place. Pendant des années, j’ai milité pour des fauches plus ciblées et efficaces, pour mieux contrôler l’herbe à poux le long des routes. Mais c’est presque une mission impossible.
Le vrai problème avec l’herbe à poux est qu’elle ne tue personne. Elle rend les gens malades, certains doivent prendre des médicaments, surtout les asthmatiques, mais ce n’est pas mortel. C’est une des raisons pour lesquelles la médecine a tardé à développer des traitements efficaces. Si le rhume des foins causé par cette plante était mortel, je peux vous garantir qu’on aurait réglé le problème depuis longtemps.
Alors, l’investissement nécessaire pour maîtriser ce problème est énorme, et les bénéfices, en termes de santé publique ou d’agriculture, sont jugés insuffisants par certains. Je trouve ça déplorable qu’on abandonne ces personnes, malgré tout.
Mais il faut reconnaître que cette plante est remarquable. Même si je la déteste, je ne peux m’empêcher d’être impressionné.