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Les océans seront désormais mieux protégés. Un traité historique, signé par les pays membres des Nations unies, vise la protection de 30 % des eaux internationales d’ici 2030.
Les océans, qui abritent des milliers d’espèces, étaient jusqu’à ce jour très peu protégés. Les zones côtières sont parfois protégées par le pays qu’elles bordent, mais en haute mer, cela est rarissime. Le nouveau Traité sur la haute mer change la donne en « établissant un processus juridique pour la création d’aires marines protégées, un outil essentiel pour protéger au moins 30 % des océans ». L’accord prévoit aussi le partage juste et équitable entre les pays quant aux « ressources marines génétiques ». Ce point réfère aux biotechnologies qui peuvent émerger de l’exploration des océans, un marché qui vaut des milliards de dollars.
Pour mieux comprendre l’accord, Québec Science s’est entretenu avec Boris Worm, biologiste spécialiste de la conservation à l’Université Dalhousie, à Halifax.
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Québec Science Le nouveau traité sur la biodiversité marine concerne la haute mer. De quoi parle-t-on au juste?

Le biologiste Boris Worm. Photo: Nick Hawkins/Ocean School
Boris Worm La plupart des gens n’ont jamais l’occasion de voir la haute mer, [qu’on appelle aussi les eaux internationales]. Moi-même, je n’y suis allé que quelques fois! Elle commence à plus de 300 kilomètres des côtes. C’est un endroit sauvage, avec une faune et une flore extraordinaires. Il s’agit du dernier grand espace sauvage de la planète.
On se croirait presque dans l’espace, car on peut passer des jours entiers sans voir d’autres humains. On traverse des zones où il n’y a ni oiseaux ni poissons, on a l’impression que rien n’y vit. Puis, lorsqu’on envoie des sondes en profondeur, on constate qu’il y a beaucoup de vie. D’ailleurs, pendant la nuit, une grande partie de cette vie remonte à la surface. La surface est alors remplie de calmars, de poissons et de plancton.
Je me souviens de ma première visite en haute mer, au sud d’Hawaï, en 2007. J’étais époustouflé par l’étrangeté des lieux et par le peu de signes d’humanité. C’était très apaisant.
QS Pourquoi le nouveau traité sur la biodiversité marine est-il important?
BW Parce que la haute mer représente près de la moitié de la surface de la planète et près des deux tiers de la surface des océans.
La haute mer joue un rôle dans l’absorption du carbone de l’atmosphère : elle en stocke de grandes quantités.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu les moyens de bien la protéger. Même si des réglementations et des organes de gouvernance ont été mis en place pour la pêche en particulier, nous voyons de plus en plus d’industries s’installer dans cette zone. L’exploitation minière en eaux profondes en est un exemple. C’est pourquoi il était important de trouver un moyen de conserver la haute mer au moins en partie.
La décision de protéger 30 % de cet environnement d’ici 2030 est très ambitieuse. C’est une excellente nouvelle! C’est même l’une des meilleures nouvelles de ma vie!
QS Pourquoi?
BW Pendant longtemps, l’océan a été loin des préoccupations politiques. Dans le monde, et même ici, au Canada, la couverture de protection de ces zones était très faible. Le Canada s’est considérablement amélioré [en protégeant 14,66% de ses zones marines et côtières] et continuera à le faire avec ce nouvel engagement de 30 %.
Je pense que c’est en partie grâce aux engagements pris à Montréal [pendant la COP 15]. Protéger 30 % de toutes les eaux et de toutes les terres sera très difficile si nous ne protégeons pas la haute mer.
Il y a beaucoup de cynisme; on dit souvent que les pays ne s’intéressent qu’à leurs propres intérêts. Mais les négociations sur le climat, celles de Montréal pour la biodiversité et celles pour ce dernier traité en haute mer prouvent que les nations peuvent travailler ensemble pour le bien commun et qu’elles le font d’une manière transformatrice. Elles ne réalisent pas seulement de petits pas, mais des bonds importants dans la bonne direction.
Les traités internationaux ont un impact considérable sur notre façon de penser aux investissements, aux efforts de recherche et aux décisions que nous prenons. Il s’agit vraiment de lignes directrices de haut niveau sur la manière de gérer notre planète.
QS Pourrons-nous bientôt voir l’effet du traité sur la conservation?
BW C’est un peu difficile à dire. Cela dépendra de la rapidité avec laquelle les pays ratifieront l’accord. Ensuite, les gouvernements et les institutions scientifiques doivent se réunir pour décider de l’emplacement des zones à protéger. Cela peut prendre beaucoup de temps.
Et bien sûr, nous devons également disposer de normes solides pour définir ce que nous entendons par « zone protégée ». Même lors des négociations de la semaine dernière, il n’y avait pas de consensus sur les questions : est-ce qu’il doit y avoir absence d’extraction des compagnies minières dans les zones protégées ou alors des niveaux d’extraction peuvent être considérés durables? Quelles sont les activités industrielles permises?
L’Union internationale pour la conservation de la nature a déclaré qu’une zone protégée, qu’elle soit terrestre ou marine, n’est pas compatible avec l’extraction industrielle. Je suis tout à fait d’accord avec cette définition. Le Canada a d’ailleurs adhéré à cette définition pour ses propres zones protégées.
QS Cela signifie-t-il que des activités minières en haute mer pourraient être menées avec ce traité ?
BW Les pays semblent d’accord pour dire que l’exploitation minière en haute mer ne sera pas compatible avec l’objectif de protection de 30 % des océans. J’espère que certaines zones seront protégées entièrement et que toute activité minière fera l’objet d’un processus d’évaluation environnementale. Il ne s’agit pas seulement de protéger des zones, mais aussi de sauvegarder la biodiversité partout en haute mer.
QS Parlons du partage entre les pays quant aux ressources marines génétiques. Si une entreprise pharmaceutique découvre une molécule avec un fort potentiel pour traiter une maladie en haute mer, pourra-t-elle la synthétiser et la commercialiser?
BW C’est une question intéressante et je pense que c’était l’un des principaux points d’achoppement dans les négociations.
On dit que 90 % des espèces dans l’océan n’ont pas été décrites, et encore moins comprises en termes de ce qu’elles peuvent faire pour les humains comme produits pharmaceutiques ou autres composés actifs intéressants. En vertu du nouvel accord, ces ressources ne doivent pas profiter qu’à l’entreprise ou à la personne qui les a « découvertes ».
La particularité de la haute mer est qu’elle est légalement définie comme un patrimoine commun de l’humanité, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982. Cela signifie que vous et moi, ainsi que tous vos lecteurs et tous les habitants de la planète, nous sommes propriétaires de la haute mer.
QS S’il y a un déversement de pétrole dans les eaux internationales, qui devrait s’en occuper?
BW À l’heure actuelle, personne, aucun pays, aucun gouvernement n’est responsable du nettoyage. Le problème s’est également posé dans d’autres cas, comme l’esclavage sur les navires de pêche en haute mer.
Le nouveau traité donne la possibilité d’agir contre les violations des zones protégées ou d’autres problèmes environnementaux. Mais les détails sur la façon dont cela sera gouverné ne sont pas encore clairs. Mais ce qui est important, c’est que les 192 pays [membres des Nations unies] ont convenu que nous devions agir pour nous assurer que toutes les formes de vie restent viables en mer en ne répétant pas certaines erreurs commises sur terre.
QS En quoi consistent vos travaux?
BW En tant que biologiste en conservation, j’étudie comment protéger et restaurer au mieux la biodiversité là où elle a été perdue. Nous avons montré, il y a environ 20 ans, qu’une grande partie des populations de grands poissons en haute mer avait été décimée par la surpêche. Certaines de ces populations sont mieux gérées aujourd’hui et nous constatons des améliorations.
Sur terre, des parcs et des espaces protégés sont laissés aussi intacts que possible. Je pense que nous avons besoin de la même chose en haute mer.
Qu’en est-il au Québec?
Le Traité sur la haute mer sera bénéfique au maintien de la biodiversité et à la santé globale des océans, selon Marie Cadieux, coordonnatrice en conservation marine à la SNAP Québec. « Les efforts de protection de la biodiversité marine mis en place par le Québec pourront désormais officiellement être appuyés par leur penchant transnational. »
Elle donne en exemple le cas du rorqual bleu, une espèce en voie de disparition, qui migre de l’océan Atlantique vers les aires marines protégées du fleuve Saint-Laurent. « Les aires marines du Saint-Laurent, essentielles au bien-être et au rétablissement des espèces migratrices, permettent de protéger seulement une partie des environnements que les rorquals fréquentent. Le nouveau traité ouvre la porte à la protection d’une plus grande portion de leur aire de répartition. »