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15 novembre 2024

COP 16 de la biodiversité en Colombie : entrevue avec Jérôme Dupras

Jérôme Dupras, professeur en économie écologique à l’Université du Québec en Outaouais. Photo: Kika Tuff

Où en est la planète pour protéger les espèces vivantes? Les pays financent-ils adéquatement la conservation de la nature? Voilà de quoi on discutait à la COP 16 de Cali, en Colombie, où plus de 23 000 délégués se sont réunis à la fin d’octobre. Jérôme Dupras, professeur en économie écologique à l’Université du Québec en Outaouais, était sur place. Il a suivi de près les négociations visant à mettre en œuvre le cadre mondial de la biodiversité de Kunming, adopté il y a deux ans à Montréal, lors de la COP 15.

***

Québec Science Quelles étaient vos attentes pour cette 16e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique?
Jérôme Dupras Mes attentes portaient surtout sur la manière dont les pays allaient présenter leur stratégie pour atteindre les 23 cibles du cadre mondial. Le Québec avait présenté son Plan nature deux semaines avant de se rendre à la COP et le Canada avait aussi partagé sa stratégie. Mais seulement 15 % des pays signataires ont présenté leurs engagements, ce qui soulève déjà des doutes quant à l’enracinement de l’accord Kunming-Montréal dans l’ensemble des 196 pays signataires.

Qu’est-ce que l’accord Kunming-Montréal?

Au terme de la COP 15, qui avait lieu en décembre 2022 à Montréal, 196 pays se sont engagés à protéger la biodiversité. L’accord Kunming-Montréal fixe ainsi 23 cibles à atteindre pour enrayer le déclin de la biodiversité à l’échelle mondiale.

QS Quelles avancées concrètes ont été réalisées pendant la COP pour la biodiversité?
JD Même si seulement 15% des pays ont présenté leur stratégie [pour atteindre leurs cibles], ceux qui l’ont fait ont démontré un véritable leadership. Atteindre les 23 cibles du cadre mondial de la biodiversité est un défi immense, car elles touchent des enjeux aussi variés que la santé humaine, la finance et la protection du territoire.

Parmi ces cibles, la « 30 x 30 » qui vise à protéger 30 % des territoires d’ici 2030 est la plus connue, mais il s’agit d’une seule cible parmi les 23. Pour un pays, ou même pour un gouvernement comme le Québec, élaborer un plan structuré autour de ces 23 objectifs représente un travail colossal.

Autre point positif : la grande diversité des participants. La COP n’est pas seulement une affaire de délégations gouvernementales. C’est un rassemblement qui inclut la société civile, la communauté scientifique, les Premières Nations et le secteur financier. Voir autant de personnes de différents domaines s’engager dans la réponse à la crise de la biodiversité est un signe prometteur. J’ai aussi été impressionné par le leadership du Québec lors de cette COP. Malgré une délégation relativement modeste et des moyens limités, le Québec s’est démarqué et a fait avancer les choses de manière significative, même plus que certains pays. Nous pouvons être fiers!

QS Y a-t-il des choses qui ont stagné pendant la COP?
JD Le financement est beaucoup ressorti. Mettre en place des stratégies pour la biodiversité demande des ressources financières considérables. Les pays riches peuvent réaffecter leurs budgets, mais pour les pays en développement, c’est un défi. C’est pourquoi l’accord de Kunming-Montréal prévoit un plan de financement avec un objectif d’alimenter le Fonds mondial pour la biodiversité de 200 milliards de dollars par année pour soutenir ces pays.

Cependant, il n’y a pas beaucoup de sous qui ont été amassés. Les négociations n’ont pas abouti sur la gestion du financement. Sans cadre financier, l’accord mondial de la biodiversité sera difficile de mettre en œuvre dans plusieurs pays.

QS Qu’est ce qui pourrait inciter les pays à s’investir davantage dans la biodiversité?
JD Tout d’abord, les pays ont pris des engagements envers la biodiversité et s’y tenir devrait être une incitation suffisante. Si un pays ne respecte pas ses objectifs, cela envoie un message fort à sa propre population.

Je vais faire le parallèle avec l’accord sur les changements climatiques. Le Canada est signataire de toutes les conventions climatiques, mais nous n’avons jamais atteint nos objectifs. Cela nourrit une certaine forme de cynisme dans la population et affecte la politique. Les pays riches ont aussi une responsabilité historique. Ils se sont développés en grande partie grâce aux ressources des pays en développement.

C’est la même chose pour la biodiversité : nous profitons des retombées liées à la biodiversité, notamment dans le domaine pharmaceutique où environ la moitié des médicaments sont issus de la nature. Ces ressources génèrent des capitaux qui retournent dans les pays riches, d’où cette responsabilité de contribuer à la préservation de la biodiversité mondiale.

Enfin, il y a un impératif de santé publique globale. Notre bien-être dépend de la santé de nos écosystèmes. Donc, si on ne protège pas l’Amazonie ou les grandes forêts du Congo qui habitent cette planète, tôt ou tard, cela génère aussi des conséquences sur la santé humaine.

QS Croyez-vous que nous atteindrons l’objectif de protéger 30 % de la biodiversité d’ici 2030?
JD C’est très difficile à dire avec les réalités variées des 196 pays signataires. Je vois autant de très bonnes choses que d’autres qui avancent à rythme incompatible avec l’objectif de 2030.

Le Québec est bien positionné pour atteindre cet objectif. Le gouvernement actuel alloue des ressources pour l’acquisition, la mobilisation, la recherche et la connaissance qui sont liées au territoire. On approfondit aussi les réflexions sur les types d’aires protégées à mettre en place. Si je regarde la progression du Québec, je suis assez confiant que l’objectif sera atteint pour 2030, ce qui nous positionnerait parmi les leaders.

Cela dit, il ne suffit pas de viser simplement « un 30% facile » en choisissant les gains les plus évidents. Un véritable progrès repose sur des choix éclairés, ancrés dans la science, dans une réalité territoriale, dans un respect des droits humains et des droits des Premières Nations. Il ne faut pas tomber dans le piège d’atteindre la cible d’un chiffre. Comme scientifique et militant, je préfère voir un pays admettre que l’échéancier de 2030 est trop ambitieux, mais qu’il avance en identifiant les zones à protéger.

QS L’élection de Trump aux États-Unis pourrait-elle compliquer la tâche pour atteindre les objectifs des COP, climat et biodiversité?
JD C’est dommage que des pays aussi puissants et influents que les États-Unis ne soient pas engagés davantage sur les questions du climat et de la biodiversité. Mais on ne peut pas non plus leur dicter quoi faire.

En revanche, on peut construire une sorte de géopolitique de la biodiversité. Aux États-Unis, le pouvoir est partagé entre les États et les villes. Par exemple, le développement d’Hydro-Québec dans le nord-est des États-Unis s’est réalisé grâce aux politiques de développement durable ambitieuses des États. Cela montre que l’ensemble des acteurs infranationaux [municipalités, provinces, régions…] peuvent se substituer d’une certaine façon à un manque de leadership national.

QS À la COP, avez-vous entendu parler de nouvelles initiatives, de collaborations ou de projets novateurs pour renforcer les efforts de conservation?
JD Deux choses ont retenu mon attention. La voix des Premières Nations et des peuples autochtones a été particulièrement forte, surtout autour des questions économiques liées à la biodiversité. Il y a eu des discussions sur l’économie de la génétique de la biodiversité, notamment sur la bioprospection et l’industrie pharmaceutique. Les résultats ne sont pas complètement satisfaisants, mais cette discussion ouvre la voie à la reconnaissance des savoirs traditionnels liés à la biodiversité d’un territoire. S’il y a des retombées économiques, cela devrait retourner à ces communautés pour leur permettre de développer, conserver et gérer le territoire.

L’autre point important concerne l’écosystème de la finance durable. À Montréal, il y avait eu beaucoup d’acteurs comme les investisseurs institutionnels, les grandes banques et les fonds de pension, qui avaient démontré leur intérêt envers la conservation de la biodiversité. Deux ans plus tard, je constate que beaucoup de projets concrets ont été présentés. Par exemple, on voit émerger des outils de finance mixte où l’argent n’est pas une finalité, mais un investissement positif pour la nature. Cela amène beaucoup d’optimisme.

QS Comment parvenez-vous à rester positif face à la crise de la biodiversité?
JD Les chiffres sont alarmants, mais il ne faut pas être immobile face à la situation. Nous devons croire qu’il est possible de transformer les choses. Il y a une mobilisation mondiale – gouvernements, entreprises, scientifiques – qui lutte contre cette crise. Il faut avoir confiance qu’on va réussir à faire de bonnes choses. Il faut arrêter de détruire les écosystèmes et de subventionner des pratiques néfastes.

Je reste quand même réaliste. Mais en même temps, je pense qu’on a ce devoir, cette responsabilité de se retrousser les manches et de voir ce qu’on peut faire avec la situation qui est devant nous.

QS Vous participez à un projet en Guinée appelé Femmes Pro-Forêts, qui vise à aider les femmes à s’adapter aux changements climatiques. Pouvez-vous nous en dire plus?
JD C’est un projet de développement international financé par Affaires mondiales Canada, co-dirigé par ma chaire de recherche et le volet développement international de l’Union des producteurs agricoles du Québec. L’objectif est de combiner agriculture durable, adaptation aux changements climatiques et autonomisation des femmes. Le projet est mis en œuvre avec des groupes locaux en Guinée, dans le parc national du Moyen-Bafing, qui abrite notamment des chimpanzés menacés, et la zone tampon qui l’entoure.

Pour ce projet, nous avons développé des indicateurs de biodiversité. C’est un peu technique, mais cela inclut les capacités de prise de données, des flux de travail, des modélisations, des rapports documentaires et des algorithmes.

Il y a un potentiel de réutiliser tout ça ailleurs en Guinée, dans une stratégie nationale de protection des milieux naturels. Et à la COP, on a annoncé qu’on faisait don de tous ces modèles et ces données au gouvernement de la Guinée pour les autonomiser dans le développement de leur stratégie du « 30 par 30 » [protéger 30% des terres et des océans d’ici 2030].

Je disais dans mon allocution que cela représente une preuve tangible de la raison pour laquelle nous faisons ce métier de scientifiques. Nos outils aident vraiment les gens qui sont aux prises avec des décisions quant aux écosystèmes à protéger. Il y avait beaucoup d’émotion aussi du côté du gouvernement guinéen. Des équipes qui n’avaient pas ces capacités, qui étaient prises devant des contraintes internationales, vont enfin avoir les bons outils pour atteindre les normes mondiales.

Photo: Kika Tuff

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Robert Lemire
1 année il y a

Cet article est très intéressant et il me donne espoir pour l’avenir. Nous connaissons tous M. Jérôme Dupras et sa contribution a la plantation d’arbre avec Les Cowboys Fringants et cet article nous aide a encore mieux l’apprécier. Merci pour son article.

Betty Larose
1 année il y a

Merci, Monsieur Dupras, de nous représenter dans ces dossiers par trop complexes et peu exaltants ! Nous tentons de faire notre petite part pour la biodiversité et la survie de la planète, mais les mauvaises nouvelles ont vite fait de nous écraser. Votre engagement et votre positivisme sont réconfortants et nous donnent le goût de penser que nos efforts ne sont pas vains. Bravo et bonne continuation !

Vincent G.
1 année il y a

Est-ce qu’il y a un texte de vulgarisation scientifique qui vulgarise comment sera notre monde dans quelques décennies quand nous aurons échoué à réaliser les objectifs des COPs?

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