L’engouement pour l’agriculture urbaine ne s’estompe pas depuis les 10 dernières années. Reste à découvrir comment elle peut atteindre son plein potentiel.
Aubergines, laitues, haricots, rabioles… je déambule dans une oasis de verdure où les légumes poussent par milliers. L’écho d’une sirène de pompier se répercute sur les murs des gratte-ciel avoisinants et me rappelle pourtant que je suis en plein centre-ville, sur le toit du Palais des congrès de Montréal. Depuis 2016, il s’agit du principal terrain d’expérimentation du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Son directeur scientifique et de la formation, Éric Duchemin, arrache une petite feuille et me la tend. Sa saveur et sa texture s’apparentent à celles de la coriandre, avec un arrière-goût de pamplemousse. C’est une plante herbacée provenant d’Amérique du Sud qu’on appelle papalo. Elle figure parmi les produits maraîchers que l’équipe essaie de faire pousser du haut de l’immeuble : « C’est vraiment adapté aux fortes chaleurs », dit le chercheur avec enthousiasme.

Éric Duchemin, directeur scientifique du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB) de l’UQAM. Image: Nathalie Saint-Pierre/UQAM
Il ne croit pas si bien dire. En cette matinée de juillet, le soleil se fait cuisant sur la terrasse de l’édifice. La station météo y enregistre souvent des températures plus élevées de 10 degrés qu’au sol, ce qui permet de prolonger les récoltes jusqu’à l’automne. Néanmoins, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Ce fut le cas, par exemple, de plants de tomates qui n’ont pas résisté à l’été aride de 2019. D’autres variétés sont maintenant testées, notamment des semences importées du Mexique.
Adapter une culture à la ville n’est pas qu’une question de thermomètre : toutes sortes de méthodes sont mises à l’épreuve. AU/LAB teste des engrais mis au point avec des déchets des environs. Des piments gorria poussent entre autres dans un terreau à base d’excréments d’insectes et de résidus de champignonnières…
Éric Duchemin ne se fait plus demander si l’agriculture urbaine n’est qu’une mode. Depuis une décennie, le nombre d’entreprises de ce secteur croît annuellement de 30 % au Québec. En 2019, on en comptait 72. Et c’est sans parler des potagers d’arrière-cours ! À l’aide d’images satellite et d’observations de terrains, le laboratoire a cartographié depuis 2016 les jardins individuels aménagés dans 10 territoires de la région métropolitaine de Montréal. Seulement dans l’arrondissement de Saint-Léonard, plus de 10 hectares, soit 30 % des lots résidentiels, sont occupés par des potagers. « C’est énorme, souligne Éric Duchemin. Ça produit et ce n’est pas anecdotique. »
La forêt, ce garde-manger
L’engouement ne gagne pas seulement la métropole. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, une forme particulière prend racine : la forêt nourricière. On y recrée la dynamique d’un écosystème, c’est-à-dire qu’on plante des végétaux de différentes tailles, allant des plantes herbacées aux arbres fruitiers en passant par des arbustes et des arbrisseaux. Ces strates favorisent la fertilité des sols, et chaque végétal remplit une fonction, par exemple fixer l’azote de l’air dans le sol ou attirer des insectes pollinisateurs. On peut y cueillir autant des pommes que de la rhubarbe et de l’estragon.
Depuis cinq ans, l’organisme Eurêko! a accompagné des citoyens bénévoles dans l’aménagement d’une quinzaine de forêts nourricières dans la région. L’une d’elles a vu le jour en 2017 sur le campus de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). « C’est devenu un peu notre forêt expérimentale de productivité », explique Olivier Riffon, président d’Eurêko! et professeur en éco-conseil à l’UQAC. En 2018, il a démarré un projet de recherche avec Jean-François Boucher, aussi professeur en éco-conseil à cette même université, pour évaluer les répercussions écologiques, sociales et économiques des forêts nourricières.
Ils ont déjà récolté de premiers résultats. Selon les données préliminaires de leur modélisation, un hectare de forêt nourricière séquestrerait 80 tonnes de carbone sur 100 ans. « Cela équivaut à ce que peut faire une forêt modeste, mais dense, sur un territoire plus au nord », dit Jean-François Boucher avec étonnement, même s’il reste à valider les données au moyen de mesures sur le terrain. Sur le plan social, « c‘est aussi un lieu de rencontres et d’échanges », ajoute Olivier Riffon, qui note néanmoins que d’un point de vue strictement comptable, ces projets ne sont pas rentables.
« Tu ne fais pas des millions en cultivant des fruits et des légumes, confirme Éric Duchemin. Voilà pourquoi l’agriculture urbaine doit être subventionnée, comme le reste de l’agriculture. » La question est d’autant plus importante pour les producteurs citadins, mis à genoux par la COVID-19. « Les restaurants ont fermé, et c’est l’essentiel de leur marché », soulève-t-il. Même les récoltes de son laboratoire, habituellement cuisinées par le traiteur du Palais des congrès, ont été vendues à bas coût au Marché solidaire Frontenac. Le directeur scientifique estime qu’une production maraîchère sur toit doit s’étaler sur un minimum de 2 500 mètres carrés pour dégager une légère marge de profit.
AU/LAB occupe pour sa part 2 000 mètres carrés sur le toit du Palais des congrès de Montréal, mais il tente d’en tirer le maximum grâce à des structures verticales où s’entassent plus de 12 000 plantes. L’évolution de cet aménagement touffu est suivie de près : s’ils s’avèrent satisfaisants, les résultats pourraient guider les agriculteurs urbains qui souhaitent vivre de leurs récoltes. Pour le moment, plus de la moitié d’entre eux ont besoin d’un deuxième emploi.
Pour donner un coup de pouce à ceux qui se lancent dans l’aventure, un Guide de démarrage en entreprise agricole urbaine a été publié en août dernier par le Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine, porté par AU/LAB. Prochaine étape : explorer le potentiel des fermes verticales intérieures. « L’autosuffisance alimentaire, ça veut aussi dire produire l’hiver », insiste Éric Duchemin. Et pas seulement faire pousser des tomates sur un toit brûlant.
Image en ouverture: Etienne Plamondon Emond
Houston, nos plantes ont un problème !
Une éventuelle mission sur Mars ne pourrait pas se réaliser sans plantes : la survie des astronautes reposerait entièrement sur leurs feuilles, sources à la fois d’oxygène et de nourriture. « C’est pour ça que si elles tombent malades, il faut qu’on le sache immédiatement, avant qu’elles meurent », précise Talal Abboud, ingénieur à l’Agence spatiale canadienne.
Au cours de sa maîtrise, supervisée par la professeure Rita Noumeir à l’École de technologie supérieure (ÉTS) entre 2010 et 2013, il a pu tester deux prototypes pour suivre en temps réel la santé des végétaux dans un environnement hostile. Le premier dispositif mesurait la fluorescence de plants génétiquement modifiés avec des protéines vertes fluorescentes. Pendant un an, Talal Abboud a surveillé à distance ces végétaux cultivés en serre dans la station de recherche Haughton-Mars, sur l’île Devon, au Nunavut. L’autre prototype misait sur un système multispectral, capable de mesurer la fluorescence naturelle de la chlorophylle à des longueurs d’onde près de l’infrarouge. Testé à l’Université de Guelph, en Ontario, il a réussi à capter en temps réel l’activité biologique des plantes dans un environnement à basse pression. Il s’agit d’une avancée importante pour permettre aux scientifiques de surveiller la santé des végétaux sur la planète rouge, où la pression atmosphérique est 100 fois plus basse que sur Terre.
L’ingénieur a aussi mis au point un algorithme en mesure de segmenter les images, pour transmettre seulement les données pertinentes sans ralentir la communication ni l’alourdir. Faute de financement, le projet n’a toutefois pas eu de suite. Pourtant, Talal Abboud conserve l’espoir que cette technologie soit un jour utilisée pour cultiver vers l’infini, et plus loin encore.