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Alors que les appels à « apprendre à vivre avec le virus » se multiplient, le gouvernement québécois vient d’annoncer que l’essentiel des mesures sanitaires sera levé dès le 14 mars. Un retour à la vie d’avant?
Le 8 février dernier, presque deux ans jour pour jour après l’annonce de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement du Québec a annoncé son plan de déconfinement qui devrait permettre un retour à la vie « normale ».
Cette annonce n’est pas le premier relâchement des mesures depuis le début de la pandémie. En fait, comme le virus lui-même, l’espoir d’une fin prochaine de cette crise nous est venu en plusieurs vagues au cours des deux dernières années.
D’abord, il y a eu la perspective d’un retour à la normale dès l’arrivée des premiers vaccins. Puis, chaque variant a causé des remous, avant de nous laisser entrevoir de nouveau la lumière au bout du tunnel. Même le variant Omicron, dont la plus grande contagiosité a pourtant entraîné une hausse importante des décès au Québec et au Canada, a été présenté par certains comme la voie vers une immunité collective ou une transition vers une situation endémique.
Or, il ne faut pas confondre levée des restrictions avec fin de la pandémie. « Parler de fin de pandémie n’est pas une bonne idée, ni pour la santé publique ni pour l’anxiété générale, car les éventuels nouveaux variants soulèvent trop d’incertitudes, » estime Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
Chaque variant a ainsi le potentiel de nous faire reculer. « L’an dernier, quand on faisait face au variant Delta, on avait une idée des risques et des conséquences que représentait une infection, poursuit la chercheuse. L’arrivée d’Omicron nous a replongés dans l’incertitude, on n’avait plus aucune donnée nous permettant d’estimer les risques qui viennent avec une infection. Maintenant, on commence à avoir assez d’information pour combler ce vide, mais pour le prochain variant, cette incertitude va ressurgir. »
Déjà, un nouveau sous-variant d’Omicron, nommé BA.2, est sous investigation dans plusieurs pays du monde. « Ce BA.2 possède une vingtaine de mutations de plus qu’Omicron, rapporte Cécile Tremblay, microbiologiste/infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Elles confèrent au virus encore plus de transmissibilité qu’Omicron, mais jusqu’à maintenant les infections ne semblent pas plus sévères. »
Ce contexte incertain, qui ne permet pas d’envisager une fin prochaine de la pandémie, explique pourquoi le gouvernement appelle à la responsabilisation individuelle parallèlement à la levée des mesures. « Ça veut dire qu’il va falloir soi-même, chaque personne, évaluer ses risques, » a précisé le premier ministre Legault. Mais comment apprendre à vivre avec la COVID-19 ? Et quelles mesures peut-on appliquer pour y parvenir ?
La clé d’une vie plus normale
L’annonce du gouvernement survient des semaines après que plusieurs pays d’Europe aient commencé à lever certaines mesures sanitaires. Un délai qui s’explique par le fait que la cinquième vague n’a pas débuté en même temps partout, rappelle Cécile Tremblay. « Elle a commencé un mois plus tôt en Europe qu’au Québec, donc c’est normal qu’on y voie le début d’un déclin avant nous. Le portrait épidémiologique varie aussi beaucoup d’un pays à l’autre. Ce qu’il faut faire, c’est regarder ce qui se passe ici, et reconnaître la pression que notre système est capable de supporter en fonction de nos ressources. »
Malheureusement, notre système de soin était déjà très fragile avant la pandémie et la COVID-19 a exacerbé ces fragilités, souligne Roxane Borgès Da Silva. « En janvier 2022, le système était débordé et il fallait agir pour diminuer la transmission, d’où les mesures plus restrictives. Ce n’est que maintenant qu’on commence à jauger les effets des gestes qu’on a posés. On ne peut donc pas relâcher les mesures plus vite, car on risquerait de multiplier les cas de transmission et de dépasser les capacités des soins hospitaliers. »
Dans un tel contexte de fragilité, peut-on « vivre avec le virus » ? « La clé, c’est la vaccination, martèle Cécile Tremblay. Les gens pensent qu’un virus endémique signifie un virus qui n’est plus grave, mais ce n’est pas le cas : les gens vulnérables peuvent toujours être touchés sévèrement. Donc on va être capable de vivre avec, mais dans la mesure où 95% de la population aura reçu sa troisième dose. »
De plus en plus d’études montrent qu’une troisième dose rehausse bien l’efficacité de la vaccination contre les infections, ainsi que contre les maladies graves. Dans ce contexte, la chercheuse croit qu’à moins qu’un autre variant ne nous réserve une mauvaise surprise, les prochains mois pourraient ressembler à ce qui a été vu l’an dernier : une baisse des cas au printemps, puis une accalmie à l’été.
« En développant un vaccin spécifique contre le variant Omicron ou son éventuel successeur, ce sera encore mieux, complète la Dre Tremblay. Et ça va nous permettre de retrouver une vie à peu près normale. La suite dépend alors de nous; il faudra être assez intelligents pour profiter de cette période d’accalmie pour améliorer la ventilation des bâtiments ou former du personnel supplémentaire pour éviter que le système retombe sous pression ! »
Des habitudes bien implantées
Ce qui est certain, c’est que la COVID-19 va changer plusieurs habitudes de vie, tout comme ce fut le cas pour des pandémies du passé. « À court terme, on doit offrir une quantité adéquate de tests ainsi qu’offrir des mesures pour permettre aux personnes contagieuses de rapidement s’isoler pour protéger les plus vulnérables, affirme la professeure Da Silva. Le long terme est plus difficile à entrevoir. Les mesures sanitaires sont maintenant tellement intégrées à nos habitudes personnelles que pour plusieurs, ce sont maintenant des normes, et les arrêter semble presque fou ! »
Pour vivre avec la COVID-19, il faudra conserver le réflexe de porter un masque quand on est malade et symptomatique, comme c’était déjà le cas dans plusieurs sociétés asiatiques avant la pandémie, poursuit la chercheuse. « Le télétravail doit aussi être plus courant et les lieux communs réaménagés pour diminuer les risques de contagion. »
Apprendre à vivre avec le virus ne sera pas simple, ce sera même l’un des plus gros défis des prochaines années. Il importera de trouver un équilibre entre les populations pour qui le virus est un risque et celles pour qui les mesures entraînent des souffrances importantes (nous avons consacré des articles à quelques-unes d’entre elles ici, ici, et ici).
« Il n’est pas question de vivre dans des bulles, mais on peut quand même minimiser les risques non nécessaires, conclut Cécile Tremblay. Les pandémies affectent toujours les gens plus vulnérables, les sans-abris, les communautés marginalisées, les personnes âgées, les immunosupprimés… Eux seront toujours à risque, peu importe les variants, et c’est pour protéger ces gens-là qu’il faut agir. »
Cet article fait partie de notre série «Métamorphose» qui explore des solutions aux nombreux problèmes et défis révélés par la pandémie de COVID-19.